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violences conjugales et cancer
29 avril 2017

lettre d'une cancéreuse et ancienne femme battue à un prisonnier

 

Les prisons

 

La vraie liberté : c’est pouvoir toute chose sur soi”

                                                                                                 Montaigne III, 2 Les Essais

 

 

Cher Marc

Ayant bien reçu votre lettre, je vous remercie. Etant votre correspondante, je suis ravie que vous m’appelez par mon prénom : Maria ; il suffira pour nos échanges de nous appeler par nos prénoms ; croyez le bien, je comprends votre désarroi et votre tristesse à vous trouver enfermé !

Mais, sachez le, moi aussi, sans avoir été mise en prison après un procès, je suis emprisonnée par mon corps malade qui m'empêche de me déplacer à ma convenance. Après des cancers qui ont récidivé, la pose d'une valve cardiaque, je dois traîner une bouteille d'oxygène sur un petit chariot, donc c'est très difficile. C'est pour cela que j'ai voulu travailler en milieu carcéral pour rencontrer et aider des prisonniers. Toutefois, je n'ai pas voulu aider un homme meurtrier de sa femme soit parce qu'il l'aurait battue à mort, soit parce que il aurait commandité son assassinat. Il faut rappeler qu'en France une femme meurt tous les deux jours et demi des suites des violences conjugales. En effet, ayant moi même subi la violence conjugale dans mon couple, j’ai divorcé depuis bientôt vingt ans, avant de retrouver un autre compagnon. Une femme battue se sent enfermée dans cette prison sans barreaux que constitue son foyer. En effet, elle a peur de son mari et cherche tout le temps à cacher ses sentiments pour éviter des scènes violentes. Elle tourne dans chacune des pièces de la maison comme un prisonnier dans sa cellule, cherchant à éviter les violences conjugales, verbales ou physiques.

C'est si dur, également, de ne pas être soutenue par ses parents, l'entourage ! Parce que si vous dénoncez votre compagnon pour violences, vous liguez contre vous toute votre belle famille, les amis de votre conjoint ou même du couple qui ne vous aideront pas, ne voulant pas prendre parti ! Je ressens la solitude comme vous, qui m'écrivez dans votre première lettre que nul ne vous écrit. Comme le mentionnait Richard Coeur de Lion, au douzième siècle, “le prisonnier n’a plus ni ami ni parents”

 

 

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Je comprends aussi que toute votre famille, tous vos amis avant votre arrestation se sont détournés de vous. J'ai connu cela aussi pendant mon divorce car j'avais osé demander le divorce pour faute et j'ai été constamment découragée dans ma démarche par ceux qui auraient dû m'aider mais qui craignaient tant le qu'en dira t-on qu'ils préféraient me prêcher la résignation.

Vous voyez nos vies sont semblables. Vous pouvez compter sur moi pour vous épauler dans votre démarche de reprendre vos études. En effet, la prison peut être un temps qui vous sera profitable pour acquérir des connaissances et vous préparer à un métier qui vous rendra heureux. Certes, comme l'a montré Stendhal dans La Chartreuse de Parme et Le Rouge et le noir, enfermé, le jeune héros trouve l'amour qui lui apporte le bonheur même si paradoxalement il se trouve en prison. Je vous engage à lire, à emprunter des livres car comme l'a écrit Victor Hugo "les livres sont des amis froids et sûrs"

Voilà, j'ai été très touchée par votre lettre qui révèle votre soif d'apprendre, de combler votre solitude et je vous répondrai toujours.

Cordialement

Emilie

 

Emilie relut sa lettre et la cacheta. Elle, qui n'avait pas eu d'enfant en raison de ses cancers, se sentait prise d'une tendresse toute maternelle pour ce prisonnier, ce Marc qui aurait pu être son fils. Si elle avait choisi de se rendre utile en tant que correspondante de prison, c'est aussi pour donner un sens nouveau à sa vie. Maintenant à la retraite, elle avait pour but d'aider les autres ; d'abord elle avait milité dans des associations qui aidaient les femmes battues mais maintenant que son état de santé s'était aggravé, elle préférait écrire. Elle aurait pu être heureuse, entourée et vivre longtemps mais elle savait qu’elle allait mourir, bientôt. Pourtant à soixante ans elle voulait vivre encore plus fort qu’avant. Le décès de son second mari l’avait affectée mais elle savait qu’elle le rejoindrait bientôt dans le pays des ombres. Pour essayer de retenir le temps, Maria se replonge dans le passé, exhumant les souvenirs qui font revivre l'enfant pleine de promesses qu’elle avait été alors. On n'oublie jamais vraiment son enfance : Maria eut du bonheur auprès de ses parents et surtout de ses grands parents. Mais le cancer toucha sa grand mère : un cancer du pancréas, très grave avec très peu de chances de survie à l'époque. Maintenant Maria, elle même, est

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emprisonnée par la maladie, par les insuffisances de son corps et elle souffre trop de ne pouvoir gravir les côtes, les escaliers pour se rendre à des expositions. Même dans les musées, le plaisir qu’elle prenait depuis des années à contempler les oeuvres d'art s'amenuise à cause de la fatigue que la marche, la station debout imposent.

Qu'il est triste de se rendre compte que la fin est proche ! A Paris, "se divertir” au sens pascalien, c'est aussi échapper à sa condition d'homme mortel. On n'y pense pas, entraîné par le tourbillon incessant des spectacles, des manifestations artistiques. Même dans la rue, la vie éclate à chaque pas. Ainsi les inconnus que l'on croise dans Paris vous font ressentir la solitude plus légère. Certes, vous vivez seule, mais vous partagez avec tous les autres parisiens les préoccupations liées à l'arrivée d'un bus, à la météo, des horaires, des retards. Vous pouvez engager la conversation, pour demander l'heure et même parfois vous mettre en colère cela n'aura aucune incidence puisque des milliers de gens se côtoient.

Être malade seul, c'est se battre doublement contre la mort, la maladie mais sans les armes précieuses que sont le partage de ceux qui nous aiment de ce désir de vivre et leur soutien. On veut vivre pour soi bien sûr mais aussi pour eux, pour ne pas les quitter, ne pas les laisser seuls. Hugo a écrit dans Les Contemplations : “l’homme est une prison où l’âme reste libre” et si Maria transmettait à Marc cette philosophie de la vie : l’amour de l’art permet de se libérer, de faire tomber les barreaux imposés par la maladie, la société ! Elle se sentait responsible de ce jeune prisonnier !

Maria rédigea une seconde lettre à Marc :

Cher Marc

Ayant appris que vous lisiez beaucoup en prison et que vous reprenez vos études, je vous encourage à continuer. Oui, lire, c'est sortir de soi, de ses problèmes, épouser la vie du héros ou de l'héroïne, jusqu'à devenir autre. Le présent douloureux s'adoucit par la part de rêves qu’apporte au fil des pages la lecture. Les écrivains vous deviendront chers, comme des amis inconnus ! En fait, les pensées des auteurs trouvent un écho dans notre vie et résonnent dans notre mémoire comme les cercles de plus en plus grands que laissent les ricochets à la surface des eaux.

Nul texte ne doit vous rebuter dans votre soif d'apprendre : les dictionnaires, les manuels de philosophie, les essais aussi bien que les poèmes et les romans.

 

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Aimez vous la musique classique ? Cher Marc, voulez vous que je demande au directeur de vous prêter un lecteur de cd ? Puis je vous faire partager mon expérience ? La musique classique me permet de voyager sans me déplacer maintenant que la fatigue est trop forte pour me permettre de prendre le métro, les transports en commun. Rêver sur les notes de musique m’aide à oublier la douleur que ressent mon corps, prison de mon âme qui voudrait goûter l'Art (expositions, musées...) mais qui ne le peut plus. Comme une mer intérieure, la musique classique me submerge et les grands compositeurs que j'aime tant sont pour moi ces magiciens du rêve. Oui, Mozart, Vivaldi, Chopin et tant d'autres à des époques différentes de la mienne, éloignés de moi par leur nationalité, l leur vie me permettent de retrouver l'espoir dans mon quotidien. Ma chambre, mon salon s'ouvrent et s'illuminent ; les murs disparaissent. J'attends au début d'un concert, la minute si précieuse où le chef d'orchestre fait un signal à tous les instruments qui sont prêts et doucement la musique s'élève, le bonheur d'écouter commence avec la faculté de se laisser porter par cet océan de notes, communiquant avec l'âme profonde et insondable des compositeurs. La musique classique, l'opéra, surtout baroque vous permettront, comme pour moi, de voyager et de retrouver ce qui est informulé en vous : liberté intérieure, apaisement...

Avec la musique, je suis dans les nuages, portée par la mélodie et je retrouve mes souvenirs qui se présentent comme autant d'étapes de ce voyage mystérieux qui me permet de renouer avec ceux qui ne sont plus (par exemple mon second mari décédé, comme vous l’avez appris) je retrouve l'espace et le temps où j'ai été heureuse. La musique me parle : un concerto de Mozart me dira qu'il faut toujours espérer et me projettera dans un avenir plus riant où la guérison totale deviendra possible. Une valse de Chopin m'incitera à me déplacer dans un pays étranger, la Pologne où il est né ou l'Espagne où il est allé avec George Sand. Avec le Boléro de Ravel, me voilà partie pour le pays basque. Dvorak me transporte dans l'Europe centrale et je revois Prague que j'ai tant aimé...

Pour vous aussi, les images du passé sembleront se soulever à chaque note de musique comme un caillou jeté sur un lac forme des ricochets, ainsi la musique classique multiplie en cercles concentriques, les évocations de paysages, d'images. Vous vous évaderez en pensée de votre cellule : si votre corps est en prison, votre âme peut rester libre ! Vous pouvez profiter de votre incarcération pour croire et préparer un avenir meilleur.

Voilà, cher Marc, n’hésitez pas à m’écrire souvent : je me fais du souci pour vous et je voudrais tant vous aider. Prenez courage ! Affectueusement.

Votre correspondante Maria

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A quelque temps de l’envoi de cette lettre, Maria reçut une missive de Marc !

Il lui écrivait sur un papier froissé, d’une écriture mal assurée avec beaucoup de fautes d’orthographe mais les mots remplirent le coeur de Maria d’émotion :

Chère Maria,

Merci pour ta lettre. Grâce à toi, je me sens libre dans ma cellule. La musique classique, les livres, comme mes études que j’ai reprises malgré mon échec précédent me sont d’un grand secours. Inutile pour moi de m‘évader physiquement, c’est mon esprit, mon coeur qui sont hors des barreaux. Tout ce que tu m’as appris dans tes lettres me sera toujours utile. Je t’aime comme un fils et je te souhaite une meilleure santé car j’ai appris que tu ne vas pas très bien.

Affectueusement;

Marc

 

 

Ainsi la vie de Maria n’avait elle pas été inutile : quelqu’un se souviendrait toujours d’elle et elle avait pu transmettre ses passions pour l’art, sa philosophie de la vie.
Après sa mort, Marc fut très affecté, se rendit sur sa tombe à plusieurs reprises et surtout pensa à elle très souvent : dans son coeur, elle était toujours vivante !

 

 

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