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violences conjugales et cancer
1 avril 2017

violence conjugale et justice

 DEUX FEMMES

 

Chapitre 1 : Marie

 

 

L’impact des gouttes sur le métal résonnait en elle comme un glas, elle regardait les coulées rouges ruisseler sur le cadavre puis sur le parquet. Un couteau posé en travers de la poitrine et serré par la main du mort. Marie soupira : « Bizarre, tout cela sentait la mise en scène ! »

Voici sa première enquête criminelle et elle commençait mal ! Marie Leclerc avait toujours travaillé, se hissant petit à petit au poste de commissaire. Comme elle avait trouvé des embûches sur sa route ! Des collègues hommes, jaloux de sa réussite, ne se soumettaient pas à ses directives.  Certains, même, l’avaient insidieusement menacée de dénonciation calomnieuse auprès de ses supérieurs, comme du juge d’instruction.

Parallèlement à ses problèmes au commissariat, Marie avait connu, ses derniers temps, des déboires dans sa vie sentimentale. Son compagnon, qui n’avait pas réussi à gravir les échelons, l’avait quittée par dépit pour une fille plus jeune, plus jolie mais surtout plus soumise à son rôle de femme au foyer, d’amoureuse sans ambition. A ses pieds, la jeune commissaire Leclerc voyait étalé ses échecs sentimentaux, ses difficultés professionnelles sous l’apparence de ce mort un peu chauve, un peu bedonnant, tout à fait ordinaire, habillé simplement, sans recherche : mort chez lui, suicide ? Peu probable, si on considérait la maison mise à sac, la table renversée, les papiers gisant le sol, les chaises bousculées. Oui, le mort avait été surpris par des cambrioleurs, une bagarre s’en était suivie, à moins que le crime fut délibéré, et l’homme avait reçu un coup de couteau en plein coeur !

S’arrachant à ses réflexions, Marie donna des ordres précis, d’un ton froid, comme il convient à une débutante qui ne voulait montrer aucune émotion devant ses subordonnés qui se seraient moqué de la moindre sensibilité envers une scène de violence et de mort :

- Sécurisez la scène de crime, appelez le légiste, inventoriez ce qui manque, renseignez vous auprès des voisins (ont-ils vu ou entendu quelque chose de suspect ? Connaissaient ils bien le mort ? …)

Le légiste arriva, hautain, serré dans sa cravate, portant une blouse blanche, des gants pour examiner le défunt.

- Certes, la mort remontait à dix huit heures, un coup de couteau, l’arme du crime a été abandonnée  sur place !Vous recevrez mon rapport dans la journée.

Monsieur Grandin, doctement, tourna les talons, rentra chez lui, conscient de son importance et un peu méprisant envers la commissaire Leclerc, comme s’il la trouvait trop jeune, trop inexpérimentée pour mener l’enquête !

Marie, malgré le désordre des objets éparpillés sur le sol, ne manqua pas de remarquer la pauvreté de ce logis. Un pavillon de banlieue assombri perpétuellement par le haut mur qui entourait le jardin, les fenêtres étroites, le papier peint décollé en partie sous l’effet de l’humidité : la maison était presque insalubre, on y respirait un air vicié, le soleil n’y rentrait jamais, il fallait éclairer constamment toutes les pièces ; certains ampoules ne fonctionnaient plus et n’avaient pas été remplacées. Une misère soigneusement dissimulée par le portail vert du jardin dans ce quartier d’une banlieue modeste mais pas indigente prenait à la gorge dans les pièces sans meubles à part la table et les chaises : des caisses en bois qui avaient contenu des vins seraient d’étagères dans les chambres aménagées sous le toit et elles avaient été déplacées, renversées . Il fallait gravir, pour y accéder, un escalier en bois aux marches branlantes et surtout baisser la tête. Un matelas jeté à même le sol servait de lit et dans ces deux soupentes, une odeur de relent d’alcool vous prenait à la gorge.

Qu’avaient ils pu bien chercher ces supposés cambrioleurs dans une maison aussi pauvre ? Du toit, tombaient des gouttes de pluie dans un récipient en fer et ce bruit métallique l’avait interpellé dès son arrivée dans la villa ! Les enquêteurs revinrent munis de précieux renseignements des voisins : l’homme qui était mort s ‘appelait Patrick Tournier ; il avait été représentant en vins fins mais maintenant il ne travaillait plus (chomage, sans doute!) ; il était sujet à de violentes colères et  les habitants du quartier le craignaient, ses voisins les plus proches avaient même déposé une plainte pour tapage nocturne contre cet homme dont les éclats de voix les dérangeaient périodiquement ; à leur avis, il ne vivait pas seul, mais sa compagne ne parlait à personne, et filait comme une souris grise, tête basse, pour aller faire ses courses. Toujours de noir ou de sombre vêtue, elle traversait la rue avec une promptitude si grande que pas un des voisins ou voisines n’avaient réussi à entamer une conversation avec elle.  A peine si elle leur fait un geste de la main au loin, comme si elle craignait qu’on la dévisage ;

- Et où elle était cette femme ? demanda la commissaire

- nul ne l’a vue depuis une semaine ! Répondit l’inspecteur Bravel

- il faut me la rechercher d’urgence : elle est témoin, sûrement ! Si elle n’est pas suspecte !

Il est vrai, pensa Marie, que pour viser parfaitement au coeur et surtout avec un couteau de cuisine, ce n’est pas cette femme frêle, d’après les descriptions des voisins, qui aurait pu y parvenir !

Toute l’équipe revint au commissariat pendant qu’un fourgon emmenait le cadavre à la morgue pour l’autopsie.

Marie épingla les photos du cadavre, de la maison, de la scène de crime sur son tableau en liège ; mais il manquait la photo de cette femme. Qui était elle,  où se trouvait elle, les cambrioleurs l’avaient ils enlevée ou plus simplement l’avaient tellement effrayée qu’elle avait fui de peur de représailles ?
Mais quels cambrioleurs auraient pu s’intéresser à une maison si sordide d’aspect ? Certes, les petites frappes de ces banlieues défavorisées auraient pu par volonté de mal faire s’attaquer à cette villa modeste ! Les investigations avaient permis de vérifier que le couple Tournier ne détenait de chéquier, de carte bleue : Tournier payait ses dépenses en liquide : est ce qu’une grosse somme d’argent avait pu être dérobée ? A moins que ce Patrick Tournier (inconnu dans les services de police) ait été visé par vengeance, représailles par ces bandes de jeunes prêtes à tout pour se faire craindre des citoyens !

Marie se fit ramener des archives les fiches sur les délits de cambriolage qui avaient été commis dans le périmêtre de la banlieue sud proche de Villejuif : elle sélectionna trois ou cinq photos et demanda à son inspecteur de repartir voir les voisins, les riverains de feu Patrick Tournier pour leur demander de reconnaître les visages de ces suspects ; personne ne les reconnut. Emmenés au commissariat pour y être interrogés, les jeunes délinquants donnèrent tous des alibis plausibles. Ils furent vérifiés et confirmés par la suite.
Les jours passaient et l’enquête piétinait. Mais en consultant le registre des mains courantes, Marie constata qu’une certaine Claire Tournier avait déclaré que son époux la maltraitait, à plusieurs reprises durant les dix années précédentes ; avait elle porté plainte contre lui pour violence conjugale ? Non !

Elle convoqua immédiatement les deux agents qui avaient signé sur le registre des mains courantes :

- Pourquoi ne lui avez vous pas conseillé de porter plainte contre son mari ?

La réponse fusa : - nous lui avons suggéré de divorcer et de partir mais elle avait peur de quitter le domicile conjugal !

- il fallait lui transmettre le nom des associations susceptibles de l’aider, de l’héberger 

Les deux hommes baissaient la tête penauds, le plus grand repensa qu’il avait reçu Claire Tournier en lui déclarant abruptement que les femmes aussi frappaient leur conjoint et que son mari pouvait se retourner contre elle et l’accuser de diffamation.

La pauvre femme avait présenté cinq attestations médicales débutant par ces mots «  je soussigné, docteur X déclare avoir reçu dans mon cabinet, une femme disant s’appeler Claire Tournier et ayant déclaré que son mari Patrick Tournier l’avait frappée » sur l’une, suivait la formule « j’ai pu constater des ecchymoses », sur l’autre étaient mentionnées des griffures, sur la troisième « des marques rouges autour du cou pouvant évoquer une tentative de strangulation », la quatrième constatait un bleu au sein, enfin la cinquième, parlait du traumatisme moral subi (pleurs, angoisses) mais sans donner d’explications ; le corps médical cherchant à se protéger contre toute suite défavorable pour eux, les policiers cherchant à ne pas se compliquer la tâche tout concourrait à faire de la victime, la femme battue, une suspecte de mensonge ou tout au moins une femme soumise qui n’avait pas assez de cran pour partir !!!

Marie conçut, dès lors, pour Claire une sympathie grandissante. Elle résolut de l’aider, d’abord, en la retrouvant si elle était partie subitement, elle était en danger !

 

 

 

Chapitre 2 : Claire

 

 

 

 

     Dans le train de nuit qui l’emmenait en Italie, à Venise, une ville qu’elle avait toujours rêvé de visiter, Claire songeait à sa fuite dès qu’elle avait compris que cet homme était mort. Cet homme, qui avait été pourtant son mari ! Elle n’avait pas voulu cela pourtant, s’il ne s’était pas précipité sur elle, s’emparant d’un couteau de cuisine sur la table, elle n’aurait rien fait, se contentant de se cacher.  Combien de fois s’était elle réfugiée sous la table, derrière l’escalier sous une couverture, sous le matelas, pour fuir. Tant de soirs, elle avait tremblé quand elle avait entendu grincer la porte du jardin avant qu’il ne surgisse toujours en colère, souvent saoul. Une angoisse l’étreignait alors comme une main de fer. Elle n’osait plus bouger, plus parler, plus vivre, enfin ! Elle avait peur quasiment tous les jours, si ce n’était pas des coups, des gifles, c’étaient des reproches, des insultes, et après sans une excuse, comme si de rien n’était, il lui imposait des relations sexuelles qu’elle subissait comme une morte. Morte, elle l’avait été jusqu’à nier la jeune fille courageuse, volontaire, combative qu’elle avait été, avant de le connaître, avant de l’aimer, avant de l’épouser.

     Comme ce rapide l’emportait hors de France, elle se remémorait son passé, elle qui ne reconnaîssait pas ce visage ridé, aux cheveux rares et blanchis quand une lumière crue éclairait le miroir posé devant elle entre les photographies de ces beaux pays ensoleillés où elle n’irait jamais !

      Le pire, c’est qu’elle l’avait aimé cet homme qui lui avait volé sa jeunesse, qui avait détruit sa vie. Encore, maintenant qu’en se défendant, elle l’avait tué, le laissant dans l’odieux pavillon, prenant tout l’argent qu’elle avait trouvé dans la cachette qu’il ne lui avait jamais montrée mais qu’elle avait trouvé seule en balayant le parquet : un planche basculait et masquait une cache où elle l’avait vu à plusieurs reprises entassant ses billets ; jamais, il n’aurait partagé, lui délivrant parcimonieusement un billet pour les courses et encore lui recommandant d’acheter au moins cher, contrôlant même le ticket de caisse pour se faire rendre la monnaie.  Elle repensait au prince charmant qui l’avait séduite. Comme elle l’avait trouvé beau avec ses yeux bleus (un morceau de ciel dans ce regard posé sur elle et sur les choses, avait elle pensé au début !), sa silhouette élégante, comme elle l’avait aimé lors de leur première rencontre dans un jardin public au centre de Paris. Et elle avait reporté toute sa soif d’amour vers cet homme, cherchant à compenser une enfance solitaire, une adolescence triste. Quand elle l’avait épousé, elle avait cru au grand amour mais très vite, les premières années de bonheur avaient été remplacées par des jours de crainte, peur de sa violence verbale et physique mais aussi peur de se retrouver seule si elle le quittait : sans parents, sans amis, sans enfant !

        Le train s’engouffra dans un tunnel et dans le noir, son coeur se serra. Maintenant, c’était l’angoisse qu’on la retrouve, qu’on la jette en prison mais elle avait vécu si longtemps dans cette prison sans barreaux, ce pavillon lugubre où dans aucune des pièces, elle ne s| était senti libre car il pouvait surgir à l’improviste. La peur des scènes, des gifles l’avait habituée à considérer qu’une toute petite cellule vaudrait mieux si elle était en sécurité. Sûrement dans ces prisons, elle retrouverait des femmes, comme elle, qui avait tué leur bourreau car elle savait bien que ses sœurs inconnues subissaient en France, comme elle, la violence conjugale (et une en mourrait tous les deux jours et demi) ! Mourir ou se révolter en se défendant en état de légitime violence, il n’y avait pas d’autre issue !

 

                                                                                  EPILOGUE

        Claire ne rentra pas de Venise : elle avait commencé une autre vie, plus heureuse ; Marie, se sentant coupable pour la police qui n'avait pas aidé la femme battue quand elle était venue cinq fois au commissariat, avait décrété que l'affaire resterait non résolue : la victime était la plus coupable et avait bien cherché ce qui lui était arrivé  : peut être l'hypothèse du suicide permettrait de trouver une explication plausible !!! 

 

 

 

 

 

 

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