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violences conjugales et cancer
5 février 2021

Journée mondiale contre le cancer : quand le cancer rime avec écriture 2 livres Vaincre la mort" et "Sous le signe du cancer"

 Pour lutter contre la malade, rien ne vaut combattre les maux par des mots. C'est ce que j'ai fait avec mon roman reprenant mon histoire avec le cancer, la violence conjugale. Pour tous la difficulté en temps d'épidémie

 Pour la journée mondiale contre le cancer, quelques réflexions issues de mon ouvrage publie sous le pseudo Agnès Victor, petit  roman Vaincre la mort évoque non seulemente la mort provoqué par le covid mais aussi le cancer dont est atteinte mon personnage principal Christelle. Il s'agit donc de montrer combien on peut lutter contre le cancer par des passions pour l'art, la beauté. Le religion peut aussi aider. Certains catholiques évoquent par exemple le saint Perugin qui est réputé pour avoir guéri des cancéreux. Prier peut aider.

Le cancer c'est un combat de tous les jours et avec le covid, tous les gens du monde entier peuvent se rendre compte que la mort est présente au creux de nos vies. Pendant le covid, par peur d'avoir la maladie, les cancéreuses se sont moins faites suivre donc résultats plus de cas .

Pendant le confinement la femme a subi des violences de la part de son compagnon confiné comme elle : certaines s'en sont vengée s

Le livre d'Agnès Victor peut être  acheté sur internet dans le site les éditions du net

 

Du même auteur et toujours dans le site  les editions du net et edilivre vous pouvez trouver mon témoignage sur mon combat contre le cancer. Atteinte d'un sixième cancer, cancer du poumon n'ayant jamais fumé j'ai eu peur de mourir dans les deux ans alors j'ai écrit sous le signe du cancer or je suis toujours en vie, j'ai résisté même les cancers réputés les plus graves peuvent être vaincus. Courage à toutes courage aux femmes battues qui doivent quitter leur bourreau pour vivre et vaincre le cancer.

 

 

 

 

 

VAINCRE LA MORT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Agnès Victor

 

VAINCRE LA MORT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

"L'homme est une prison où l'âme reste libre" Boris Vian

Dans un Paris où peu de parisiens, finalement, avaient le temps ou l'opportunité de visiter musées et expositions, d'aller au théâtre ou à l'opéra, Paris semblait une capitale où il ne faisait pas bon vivre. Les parisiens et les provinciaux se plaignaient sans cesse : les bouchons aux heures de pointe, la pollution, les manifestations périodiques, le bruit. Dans cette course effrénée à l'argent et au pouvoir, les parisiens, bien souvent n'avaient pas le temps de lier conversation. Dans les immeubles, les voisins ne se parlaient pas, ne se fréquentaient pas. Dans les bars ou les restaurants, on restait en petit groupe. L'égoïsme régnait en maître. Ainsi, des fumeurs invétérés fumaient même dans les arrêts de bus, les jardins publics. Les non fumeurs gênés par la fumée passaient pour opposants à la liberté individuelle, s'ils osaient leur demander de fumer plus loin. Plus, de grossiers personnages vous envoyaient en plein visage leur fumée et jetaient leurs mégots partout sur les trottoirs. Chacun pour soi était le mot d'ordre. Les dangers du tabac et du tabagisme passif étaient particulièrement évoqués dans des campagnes contre le cancer du poumon mais avec impertinence et insolence, les gros fumeurs proclamaient qu'eux n'avaient été jamais malades.
Le fossé entre générations se creusait de plus en plus. Les seniors reprochaient aux jeunes, surtout, de ne presque jamais céder leur place, pire d'occuper les sièges réservés aux handicapés ou personnes âgées. Les jeunes, quant à eux, rétorquaient qu'ils leur payaient leur retraite ! Dans les arrondissements du centre de Paris, un même clivage s'observait avec les arrondissements de la périphérie. Les lieux touristiques étaient un peu mieux nettoyés.
Tout d'un coup, la routine quotidienne fut bouleversée. Les informations nous apprirent que dans une ville chinoise, un mal sournois décimait la population. "Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés" Les Animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine. Mais, c'est bien loin la Chine de l'Europe et nous nous imaginions épargnés par ce nouveau virus ! Quelques cas furent signalés en Europe. En France, il s'agissait surtout de personnes revenues de Chine ou ayant été en contact avec un voyageur ayant séjourné en Chine. Mais, où on s'inquièta, c'est quand un homme de soixante ans, n'ayant jamais eu de contact avec un chinois parti en Chine, mourut. Soixante ans, c'était bien jeune, la mortalité concernait plutôt les gens aux alentours de quatre-vingt ans et souvent, en plus, déjà en mauvaise santé.
Une guerre invisible avait lieu. L'ennemi ne se manifestait pas à visage découvert. Il pouvait être derrière chacun et chacun l'ignorait. Depuis des jours, des semaines, c'était la même douleur qui continuait. La mort des autres devenait petit à petit la mort de tous. Chaque jour, aux actualités, tous ces chiffres, cette énumération du nombre toujours croissant des morts devenaient un cauchemar. Quand cela s'arrêteraient-ils ? Pourtant il fallait bien continuer à vivre, plutôt à survivre, sans qu'on sache bien pourquoi. Apparemment, elle avait commencé en Chine. Des hommes lubriques pour doper leur appétit sexuel achetaient sur les marchés des animaux bizarres (pangolin) enfermés dans des cages, qu'ils tuaient pour leurs écailles. Leur pharmacopée ancestrale, ainsi, utilisait de pauvres bêtes innocentes. Les pangolins mangeaient des chauves-souris, peut être à l'origine du coronavirus. De l'animal, le virus s'était transmis à l'homme, avait muté, était très virulent, chaque porteur de virus pouvant donner le virus à plusieurs personnes.
Alors des recommandations relayées par toutes les chaînes de télévision furent répétées, jusqu'à écoeurer, des gestes barrières des panneaux publicitaires dans la rue. La pression monta encore sur tous les citoyens
Le gouvernement dans une conférence et une allocation télévisée parla de guerre et décida sous couvert des experts scientifiques de confinement. Oui, c'était bien une guerre qu'il s'agissait de mener, mais une guerre insidieuse. L'ennemi n'était pas repérable, il pouvait être partout : n'importe quel habitant du sol national pouvait transporter le virus même sans le savoir et contaminer trois ou quatre autres et ainsi de suite. Les gens craignaient leurs proches, leurs voisins. Des regards suspicieux s'échangèrent.
Comme dans beaucoup de pays, le confinement fut décidé. Plus de bars, plus de cafés, plus de restaurants, plus de théâtres, plus de cinémas, plus de musées etc. : tout est fermé à part les pharmacies, les magasins d'alimentation, les bureaux de poste et pas tous. Dans ce choix d'ouvrir ou de fermer les boutiques les décisions furent très remises en question. Si les écoles, les collèges, les lycées, et les facultés étaient fermées, pourquoi maintenir les bureaux de vote ? Les bureaux de tabac pouvaient encore vendre des cigarettes particulièrement nocives pour la maladie virale mais aussi et cela avait été démontré depuis longtemps pour les cancers, qui à cause du tabagisme passif, étaient favorisés par cet usage immodéré du tabac.
Mais l'administration n'en était pas à son premier paradoxe. A l'heure, où les médias sont présents partout, où des sondages d'opinion, même, en ligne sont proposés tous les jours, montaient peu à peu le désarroi, l'incompréhension des citoyens. Pris pour des enfants, ils comprenaient très bien qu'au départ, on leur avait menti : d'abord, dans un désir de ne pas effrayer l'opinion publique mais aussi par une incompétence à comprendre la gravité de la maladie qui s'étendait de la Chine à l'Orient puis à l'Europe jusqu'en Amérique. Les responsables étaient des dirigeants chinois qui avaient préféré minimiser la gravité du problème, plutôt que de dire la vérité à tous, au risque de noircir leur image sur le plan international. Quand la politique méprise la vie humaine, c'est tragique. Fiers de leurs capacités sanitaires, les instances européennes avaient sous estimé la possibilité d'une pandémie. Commander trop peu de masques malgré les conseils d'une ministre de la santé d'un gouvernement précédent révéla une incurie.
Quand une administration nouvelle est mise en place les décisions prises par la précédente sont mises en cause. Le bien public importe moins que le désir de critiquer ses prédécesseurs. Le virus a partout révélé que l'orgueil des gouvernements et même de certains scientifiques l'emportait sur le désir d'aider, de sauver son semblable. La méfiance était générale. Un calme profond, une attente épouvantée des décisions gouvernementales.
Dans les rues, la vie semblait arrêtée. Les boutiques étaient closes. Après les avoir empilées, les patrons ou leurs employés avaient rentré les chaises, ils avaient aussi baissé les stores et, tout d'un coup, il semblait qu'on attendait tous une catastrophe. Des autorisations pour des courses urgentes, indispensables avaient été données. Ainsi, parfois, une silhouette marchait vite en direction d'un commerce d'alimentation. Les habitants des villes ou des campagnes, au début, s'étaient précipité pour acheter des denrées alimentaires. Ils stockaient des provisions, comme si une grande période de pénurie allait survenir.
Pendant deux mois, les nationaux furent donc confinés. Pratique qui remonte au Moyen Âge : en cas d'épidémie, les gens sont isolés. Mais pour un monde dont plusieurs nations sont capables d'envoyer des fusées sur la lune, ce procédé paraissait dépassé à beaucoup. Pour masquer des erreurs d'appréciation du départ et des fautes dans l'approvisionnement des masques, des tests, le gouvernement avait menti et était obligé de demander aux citoyens très fermement de rester chez eux.
Les libertés les plus élémentaires comme celles d'aller et de venir étaient suspendues. Du jour au lendemain, sortir de chez soi sans autorisation était passible d'une amende de 135 euros. Parce que les gens confinés regrettaient d'être privé de liberté, ils développèrent des capacités à trouver un espace en dedans d'eux mêmes pour retrouver leur liberté.
Ainsi, l'âme restait libre et pouvait défier dans un certain sens la privation de liberté. La peur de la mort des citoyens avait été instrumentée. Sans doute au départ, dans un but légitime d'épargner la population du virus. Mais aussi pour que le peuple se soumette aux directives et abandonnent les revendications antérieures : l'emploi, les transports, la retraite qui avaient fait l'objet de manifestations, de grèves. Tout l'art de la politique était de se servir des conjonctures. Mais parfois la soumission aux impératifs du bien commun à ses dangers.
"Un peuple de moutons finit par engendrer un peuple de loups " comme l'écrivait Agatha Christie.
Comment vaincre la Mort ?
Plusieurs personnes différentes mais confrontées à la même situation peuvent fournir des réponses divergentes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

"La passion est encore ce qui aide le plus à vivre" Émile Zola

Christelle, un peu plus de soixante ans, était à la retraite pour raisons de santé. Ridée, vieillie, elle avait perdu beaucoup de cheveux à cause des chimiothérapies. Quand elle croisait son visage dans une glace, elle ne se reconnaissait pas. Il lui semblait qu'on lui imposait injustement un masque et que derrière se trouvait son vrai visage. Car elle était toujours la même depuis les années de sa jeunesse, son âme n'avait pas changé. Elle était née dans le Midi de parents ouvriers. Ses grands-parents, ses parents étaient décédés depuis longtemps. Sans frère et soeur, sans enfant, elle vivait seule à Paris après un divorce houleux obtenu aux torts exclusifs de son mari pour violences conjugales.
Après la mort sociale que causent les cancers (perte du travail, mise à la retraite pour invalidité) vient la dure solitude qui vous coupe de vos semblables. Elle avait cherché vainement dans cette forêt de visages que constitue la foule des Parisiens, une voix amie ou un geste de sympathie, mais dans ce désert peuplé, elle restait seule. Elle avait très peu d'amies, des collègues, surtout.
Depuis des années, elle était libre et indépendante dans son appartement, face à la Seine, tout près de Notre Dame, du Louvre, du Musée d'Orsay. Parce qu'elle aimait Paris, elle n'avait pas prêté beaucoup d'attentions aux premiers cas de coronavirus. Elle croyait de tout coeur à la formule de Sacha Guitry "Être parisien ce n'est pas être né à Paris, c'est y renaître." Paris l'ensorcelait depuis des années. Paris lui avait tant appris. C'est en assistant à des concerts, des ballets, des opéras, qu'elle s'était passionnée pour la musique classique. Dans ces salles remplies de magie, elle attendait le début d'un concert. Le silence lui révélait la communion de tous les auditeurs de la salle, prêts à se laisser charmer. Puis, vient la minute si précieuse où le chef d'orchestre donne le signal à tous les instruments, et doucement la musique s'élève. Le bonheur d'écouter commençait. Elle avait la faculté de se laisser porter par cette mer de notes. Ainsi dans les oeuvres de tous ces musiciens qu'elle aimait (Chopin, Vivaldi, Mozart, surtout, et tant d'autres) elle retrouvait des souvenirs du passé. A chaque note de musique comme un caillou jeté sur un lac forme des ricochets, des évocations de paysages, de sensations surgissaient. Au Louvre, elle aimait revoir sans cesse des tableaux de Raphaël, de Léonard de Vinci, en priorité. Devant La Vierge aux rochers de Léonard de Vinci, elle s'interrogeait sur le signe énigmatique de l'ange. Elle se sentait toujours interpellée par les tableaux qu'elle aimait : la contemplation de La Belle Jardinière de Raphaël lui donnait une plénitude. L'art de la composition, la beauté du dessin, le choix du sujet rivalisaient pour donner une perfection absolue à une oeuvre de commande. Sur la piste de l'Art, elle partait à la chasse au bonheur.
En fait, à Paris, la culture est à portée de tous et chacun peut profiter des expositions, des manifestations artistiques. Christelle, normalement, visitait le plus possible les musées. Comme pour un rendez-vous amoureux, elle retrouvait dans telle ou telle salle, la toile qu'elle appréciait tant.
Les monuments, la Seine, tout l'enthousiasmait tel un livre d'histoire incomparable. Lorsqu'elle avait appris son dernier cancer, le seul moment où elle avait eu envie de pleurer, où ses paupières se sont mouillées, c'est en traversant la Seine sur le Pont des Arts. Son regard s'était porté d'instinct là-bas, sur les deux tours de Notre Dame. Dire qu'elle ne pourrait plus rentrer dans cette cathédrale, proue sur l'Île de la Cité. Notre Dame avait été blessée, incendiée mais comme un large vaisseau, elle portait l'humanité. Ne plus voir la rosace Nord de Notre Dame de Paris lui manquait terriblement. Mais il y avait encore la possibilité, à bord des bateaux-mouches de remonter la Seine et de parcourir tant de siècles, tant d'art.
Aussi supporta-t-elle difficilement la fermeture des lieux de culture : théâtres, opéras, bibliothèques, cinémas, musées ! Bien sûr des programmes télévisés proposaient des rediffusions d'opéras, de concerts et de ballets mais rien ne remplaçait l'émotion commune dans une salle de théâtre, dans un opéra... La comédie française continuait à diffuser des vidéos de spectacles.
Pendant le confinement elle se couchait et se levait tard : elle aimait, d'une part, profiter de la fraîcheur du soir et ouvrir les fenêtres dans la nuit : de rares fêtards, parfois, mais en règle générale personne sur les quais donc Paris était à elle et les lumières des lampadaires éclairaient les bâtiments majestueux de la ville endormie. D'autre part, se coucher très tard lui permettait de tomber de fatigue comme une masse. Ainsi, le mal qu'elle avait à s'endormir, habituellement serait évité. Elle redoutait l'angoisse qui la prenait au petit matin blême sur la mort qui rodait dans Paris, frappant les gens du troisième âge, surtout. Même pour faire les courses, elle n'avait plus envie de sortir. Elle savait que si elle rencontrait un fumeur, elle se mettrait en colère. Elle leur en voulait depuis qu'elle avait ce cancer du poumon qu'elle estimait particulièrement injuste, elle qui n'avait jamais fumé. Dix pour cent au moins des cas de cancers du poumon arrivaient à des malades qui n'avaient jamais fumé. Des fumeurs ne se gênaient pas en fumant dans des lieux interdits comme dans le métro, les jardins publics, les abris de bus et même vous envoyaient une bouffée de fumée dans la figure si vous vous plaigniez.
Elle aurait cru que la peur du coronavirus amènerait les fumeurs invétérés à délaisser, enfin leur cigarette mais non. Cela avait continué même si les scientifiques avaient prouvé que les fumeurs étaient plus sujets que les autres à l'épidémie. En outre, leur guérison était plus problématique vu le mauvais état de leurs poumons !
Pendant le confinement, Christelle pestait contre les édiles qui laissaient les bureaux de tabac ouverts comme s’ils encourageant certains de leurs concitoyens à se détruire plus vite et avec eux, leur entourage. Dans le lieu clos de chaque maison ou appartement d'un fumeur, les enfants, le compagnon ou la conjointe étaient contaminés et aussi les citadins qui avaient à supporter en plus de l'inévitable pollution, la fumée de certains de leurs concitoyens qui fumaient dans des lieux qui leur étaient interdit et sur les terrasses se plaisaient envoyer des bouffées de fumée aux passants.
Christelle se plaignait des fumeurs dans l'abri de bus :
- " Ils ne peuvent pas fumer plus loin. J'ai besoin de m'asseoir"
Et elle s'attira les foudres d'une bourgeoise bien vêtue, l'air hautain :
-" Il faut être tolérante
- La liberté s'arrête où commence celle des autres !"
Non, il n'y avait pas moyen de discuter. A croire que l'interlocutrice donneuse de leçons se sentait visée car fumeuse, elle-même.
Quand, Christelle se sentait rejetée comme cela, elle se trouvait encore plus vieille avec ses rides de plus en plus nombreuses, de plus en plus laide avec son nez qui au milieu du visage affichait avec indécence sa couleur un peu rouge, dénotant d'ailleurs de sa peau terne. Ses cheveux lui semblaient encore plus gris et encore plus rares. Elle tourna ostensiblement le dos et alla s'asseoir au bord du trottoir. Personne ne l'aida à se relever et lui proposa sa place sur le banc.
En plus, comme elle était essoufflée elle s'attirait des regards venimeux.
On la suspectait d'être malade, et de transmettre aux autres, l'épidémie. Plusieurs fois, elle avait été obligée d'expliquer :
- "Non, je n'ai pas le coronavirus virus, j'ai juste un cancer du poumon inopérable et une insuffisance respiratoire."
C'était paradoxal, il fallait se justifier en arguant avoir une maladie mortelle mais moins grave pour les autres parce qu'elle ne se transmettait pas.

Christelle était pourtant sereine, elle avait résisté aux cancers, cette épidémie inconnue allait sûrement passer comme elle était venue ! Chaque année, la grippe décime dans l'indifférence générale des milliers de personnes et les médias nen font pas état. Pourtant la grippe se transmet comme ce nouveau virus au nom bizarre : coronavirus. Les photos agrandies de ce virus montraient un cercle constellé de points lumineux comme une couronne de pierreries. Et pourtant derrière cette beauté apparente, il était terriblement meurtrier du côté de la Chine, à des milliers de kilomètres.
Christelle espérait que le virus resterait en Orient.
Mais tout changea, soudainement. Apprendre qu'un homme de soixante ans était mort alors qu'il n'avait aucun lien avec la Chine, l'inquièta, tout d'abord. Ensuite, savoir qu'en Italie, une cancéreuse avait eu le virus et en était morte, la perturba. La nature humaine nous amène à nous intéresser qu'aux cas proches des nôtres.
Avant le confinement, alors que les hôpitaux n'étaient pas encore surchargés, Christelle se rendit à sa consultation de suivi pour sa pathologie du cancer. Lors d'un entretien avec un docteur du centre anticancéreux, celui-ci lui demanda :
- "Vous avez réfléchi à ce que vous souhaitez si vous devez aller en réanimation !
- Bien sûr, je souhaite qu'on fasse tout pour m'aider à survivre. Je préfère être sourde, aveugle, paralysée qu'être morte.
- Oui, mais avec vos antécédents médicaux, le médecin de réanimation choisira de ne pas vous réanimer. C'est lui qui décidera ; avec votre poumon, votre coeur et votre rein malade, ce ne sera pas la peine !"
Christelle se mit en colère. Elle défendit sa vie pied à pied, arguant qu'elle n'était pas inutile : elle militait pour la cause des femmes battues et des cancéreuses en difficulté. Elle avait montré à six reprises qu'elle résistait bien aux traitements.
Mais il n'y aurait pas de place, insinuait le médecin. En Italie, les docteurs avaient été confrontés au douloureux dilemme : choisir entre deux malades pour une seule place en réanimation.
Elle repartit, en claquant la porte. Pas de place, pas de place ! Elle avait donné beaucoup de son temps, de son argent et elle n'aurait pas de place ! Certes, elle pensait aux autres, au plus jeunes mais cela n'atténuait pas sa grande douleur, sa peur atroce de mourir. Elle se souvenait d'un enregistrement qu'elle avait écouté bien des fois.
"Ne me laissez pas descendre un jour trop tôt parmi les morts (....) tout m'est égal sauf la vie ! " disait Gérard Philipe, jouant le Prince de Hambourg de Kleist et comme il criait cela avec telle crainte de cette mort imposée injustement. Finalement elle était arrivée à la conclusion que tout était préférable à la mort. Aussi, elle accepta très bien le confinement.


Christelle essaya d'oublier cette conversation. Mais elle ne le put. L'angoisse la réveillait la nuit, son coeur battait très fort, sa respiration haletait. Le réveil était douloureux entre réalité et songe. Elle se croyait encore avec ses parents et ses grands-parents quand elle ouvrait les yeux. Rapidement, elle se remémorait la triste réalité : ils étaient tous décédés. Elle était seule, seule. Les murs l'enserraient comme pour l'écraser. Elle était enfermée dans son appartement. Pendant la journée, elle avait beau s'occuper, les paroles du docteur revenaient brutalement à sa mémoire. Qui pourrait l'aider ? Alors elle se souvint de son enfance, de son adolescence : comme tout était simple, alors. Quand elle avait quelque chose à demander : une guérison, un succès à un examen, elle s'agenouillait et joignait les mains pour prier. Elle récitait les prières apprises au catéchisme mais aussi entendues chaque fois qu'elle assistait à une messe en compagnie de ses parents ou quand elle écoutait la prière en commun de toute la famille. Certes, la prière était liée à la peur de la mort. La mort de ceux que Christelle aimait mais aussi la sienne : qu'allait-il advenir dans cet au-delà qui l'inquiétait ? Pour elle, sa vie avait déjà été une lutte éternelle contre la mort puisque le cancer l'avait atteinte six fois et sa famille avait été décimée par cette longue maladie ou par des problèmes cardiaques. Oui, malheureusement la mort finissait toujours par vaincre. Elle avait beau savoir que la vie éternelle était promise par le Christ après le trépas, trop de doutes l'environnaient de leur voile noir. Elle avait besoin d'en parler. Elle avait besoin d'écouter une parole de réconfort.
Elle se rendit à l'église la plus proche. Longtemps, elle était rentrée dans les édifices religieux pour y admirer les oeuvres d'art : vitraux, statues, tableaux. Jeune, elle était très croyante. Mais les désillusions, la mort des gens qu'elle aimait, l'avaient peu à peu éloignée de la religion. Elle recherchait, maintenant, la consolation. Déjà le silence, la pénombre apaisaient les coeurs blessés.
Dans les chapelles sombres, des cierges brûlaient doucement. Les flammes vacillantes manifestaient bien la fragilité de toute existence. Les colonnes qui soutenaient le transept montaient en un élan vers le Ciel. Christelle admira une fois de plus le palmier formé par le pilier central. Tout n'était qu'harmonie avec les vitraux anciens dont les visages des saints effacés trahissaient le passage inexorable du temps.
Pourtant combien étaient-ils plus beaux ces vieux vitraux aux dessins purs et expressifs, aux couleurs douces que les vitraux du dix-neuvième siècle qui proposaient une image stéréotypée des saints et saintes figés avec leur attribut, leur attitude pour l'éternité.
Sur les dalles de pierre, le bruit des pas résonnait doucement. Les statues vieilles et un peu défraîchies paraissaient bien plus naturelles que celles plus tardives. Christelle se mit près d'une porte en ogive qui donnait accès à la sacristie. Elle n'attendait personne mais elle laissait le destin agir. Assise, les mains jointes, elle ne priait pas mais contemplait cette petite église un peu délabrée mais où s'exprimaient des siècles de foi : celle des compagnons bâtisseurs, puis celle des architectes qui avaient cherché à conserver le monument tel qu'il était à l'origine. Dans ce quartier animé, ce havre de paix accueillait les découragés, les désespérés, les exclus.

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Chapitre 3

" Que servirait à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme" Saint Augustin

C'est à ce moment qu'elle rencontra le Père Dominique.
Grand et mince, le visage avenant, il lui inspira immédiatement confiance. Christelle était habituée à prier dans les églises. Elle aimait le silence et contemplait les oeuvres d'art, les vitraux de chaque église, magnifique expression de la foi en Dieu. Admirer les tableaux, les statues, l'architecture à la louange du créateur était déjà une prière. Depuis le confinement, elle ne pouvait plus se rendre aux messes mais elle gardait en mémoire les paroles bienveillantes du prêtre. Il lui avait fait comprendre qu'il fallait en tout se remettre à Dieu. Il choisissait pour les hommes mais Il leur laissait leur libre arbitre. Justement, elle avait rétorqué : "Alors, les docteurs doivent mettre tout en uvre pour que Dieu puisse décider au final". Mais les explications du prêtre ne l'avaient pas convaincue. Le prêtre parla de la Passion selon saint Mathieu de Jean Sébastien Bach. La musique est bien le bruit de l'âme. L'amour de Dieu qu'éprouvait le prêtre, sa foi dans le Christ le conduisait à considérer l'Art comme une louange.
Christelle interrogea le prêtre. Elle voulait savoir si le Père Dominique avait douté parfois de sa foi et avait eu du mal à continuer son sacerdoce.
- "Comment faire pour échapper aux tentations de la chair ? Avez-vous été amoureux ?
- Oui, Lorsque j'étais au séminaire, j'ai failli abandonner. J'avais rencontré une jeune fille à l'occasion d'un camp de vacances que des jeunes séminaristes devaient animer. Claire était très belle mais aussi très généreuse, enjouée, affectueuse. J'essayai de surmonter mon trouble mais je ne pouvais nier que je la voyais avec plaisir. Je n'avais pas prononcé mes vux. J'étais encore libre de choisir le mariage, la vie de père de famille. C'était un peu la tradition que le cadet de notre famille devienne prêtre. Mes parents ne m'y avaient pas obligé mais ils m'avaient pourtant incité à entrer au séminaire.
- Et, alors ?
- J'ai ouvert le Nouveau Testament au hasard et je suis tombé sur le passage où Jésus demande à ses disciples de tout quitter pour le suivre : parents, femme, amis (....) et j'ai compris que Dieu me parlait, me donnait le courage de choisir une vie de célibataire, sans enfant, sans compagne.
- Mais, c'est un lourd sacrifice !
- Pas tant que cela. Le Seigneur me donne la force d'accomplir mon ministère avec joie. Certes je n'ai pas d'enfants mais tous les enfants sont un peu les miens. Je les baptise, je leur apprends le catéchisme, je les aide à préparer la première communion la communion solennelle, la confirmation.
- Les enfants vous oublieront !
- Non, parce que je les aurai aidé à rencontrer Dieu pour la première fois. Ce qui est important, ce n'est pas moi, c'est celui qui a dit "laissez venir à moi les petits enfants !"
- Et les adultes ?
- Ce sont mes frères et mes soeurs. Je les aime comme s'ils étaient ma propre famille.
- Qu'a changé pour vous le coronavirus ?
- Certes, les fidèles ne peuvent pas pendant le confinement assister à la messe dans une église. Je continue chaque jour à célébrer la messe et pour les rendre présents, j'ai collé la photo de tous mes paroissiens sur leurs bancs habituels. Je pense à eux, ainsi je prie pour eux.
- Oui, et vous m'avez gentiment reçue alors que je ne suis pas de cette paroisse.
- À cause du coronavirus, nous rencontrons souvent des personnes isolées qui viennent prier ou demander une aide, un conseil, une prière.
- Mais quand il n'y aura plus d'épidémie, tout recommencera comme avant !
- Non, je ne crois pas les gens se seront posés des questions sur la vie après la mort. Certains seront revenus à Dieu. D'autres seront sur le chemin et puis, à la grâce de Dieu !"
Cette dernière expression revenait sans cesse dans sa bouche. Père Dominique faisait absolument confiance à Dieu, il ne se posait pas de questions. Détaché de toutes les contingences rudimentaires, il n'avait pour but que d'aider son prochain et de louer Dieu. L'art l'aidait pour cela contempler une belle église, admirer un tableau ou une statue, c'était aussi prier. La beauté de la musique religieuse : les messes, les requiem, les concerto : tout l'enthousiasmait, tout lui parlait.
Christelle eut du mal à mettre à profit l'enseignement du prêtre. Elle aurait voulu l'imiter mais elle avait toujours peur de la mort. On dit que le moribond revoit en quelques instants toute sa vie. Quelle tragédie pour les dernières heures qu'il lui reste ! Se remémorer ses échecs, ses manquements dans tous les domaines et surtout mourir seul ou seule. Dans les siècles précédents, on mourrait chez soi entouré des siens, on pouvait leur dire "au revoir " on recevait leurs adieux. Greuze a immortalisé la scène dans un tableau célèbre Le Fils indigne qui se trouve au Louvre. C'est la mort du juste et La Fontaine dans sa fable La Mort et le bûcheron évoque aussi cette mort dans le cercle de famille.
A cause du coronavirus, les familles ne pouvaient plus voir leur parent décédé. En plus, l'enterrement se passait comme à la sauvette avec un petit nombre de personnes. Aux actualités, les queues des corbillards devant les portes des cimetières avaient été montrées. Quelle souffrance de ne plus revoir celui ou celle qu'on a aimé et avec qui on a partagé sa vie !
Les corps avaient été transportés dans les chambres froides de Rungis, chacun dans son cercueil comme si la mort les rendait tous anonymes, insignifiants, porteurs des germes de l'épidémie qui se propageraient même après la mort. Il fallait faire de la place !
Bien difficile d'aborder cette mort qui frappait sans cesse, au hasard, ses victimes. Les plus de soixante-cinq ans mais aussi les malades, plus fragiles, étaient particulièrement visés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 4

"Il ne faut pas attendre d'être parfait pour commencer quelque chose de bien" Abbé Pierre

Les journées ternes sans sortie, sans la caresse du soleil, sans l'air frais s'additionnaient les unes aux autres. Christelle avait souvent du mal à respirer mais elle mettait ces problèmes sur le compte de ses cancers. La frontière était étroite entre les symptômes du coronavirus et ceux de l'insuffisance respiratoire et cardiaque, séquelles du cancer du poumon. Déjà, dès le début de l'épidémie, elle s'attirait les regards courroucés des parisiens quand elle s'approchait d'eux, pour attendre le bus. Les voyageurs des transports en commun s'écartaient d'elle, ostensiblement comme d'une pestiférée. La pandémie amenait des comportements paranoïaques ! Imperturbablement, les médias alignaient le nombre de plus en plus croissant.
Christelle avait rencontré également Soeur Sainte Marie des Anges. Elle avait vu, cette religieuse, à plusieurs reprises à l'église Saint Gervais-Saint Protais. Lors de messes télévisées, au début du confinement, elle l'avait reconnue.
Soeur Marie des Anges avait dû être très jolie si l'on considérait sas yeux vifs et pétillants, son sourire charmeur. Sa figure était empreinte de bonté, de bonheur que lui procurait, sans aucun doute sa foi et sa vie monacale. Elle portait l'habit de Mère Térésa avec le voile blanc au simple liseré bleu. Hiver et été, ses chaussures n'étaient que des espadrilles.
Elle animait des rencontres de jeunes, de catéchumènes, de retraités. Enfin, elle aidait tous ses semblables dans un esprit de charité chrétienne. Pour la moindre de ses actions, de ses paroles, la bienveillance rayonnait au fond de ses yeux. Dans tous ses entretiens téléphoniques, elle apportait la paix, réconfortait les coeurs blessés, les affligés, les révoltés.
Christelle aimait écouter ses paroles douces, murmurées plutôt que dites. Les gestes de Soeur Marie des Anges, même les plus simples, étaient une offrande à Dieu. Comme ses compagnes, elle avait consenti, très jeune, à être cloîtrée. La règle s'était un peu assouplie. Les religieuses, les moines étaient habitués à vivre en autarcie, le confinement ne les effrayait pas. Au contraire, elles se tournaient davantage vers Dieu et par la prière, elles combattaient l'Ennemi, le virus qui décimait tant de gens, ces inconnus qu'elles portaient dans leur coeur. Pour la guérison des malades, pour l'apaisement de leurs proches, pour que les morts trouvent la paix dans l'au-delà, elles priaient, chantaient, invoquant les Écritures. Elles avaient mis les autres au centre de leur vie. Les homme, les femmes, les enfants de toutes nationalités, de toutes religions ou athées occupaient leurs pensées. Elles vivaient non pas à moitié mais deux fois plus. La force des jours ne vient pas de leur accumulation mais de leur renaissance perpétuelle. Pour Soeur Marie des Anges, chaque jour était une prière, un émerveillement nouveau, une gratitude envers Dieu.
La religieuse raconta à Christelle comment dans les campagnes, une prière en commun réunissant toute la famille était dite. Les hommes enlevaient leur béret ou leur casquette et se tenaient droit derrière les femmes agenouillées sur des chaises qui priaient en croisant leurs mains et parfois même tenant leur chapelet. La grand-mère entonnait les chants et les prières, le reste de l'assemblée reprenait.
Sa grand-mère qui avait arrêtée ses études, à l'école, au certificat d'études connaissait parfaitement la Bible : l'Ancien et le Nouveau Testament. Elle lui racontait des épisodes édifiants comme le très pauvre Job, la femme de Loth changée en statue de sel, Jonas et la baleine. La petite s'émerveillait. Elle fleurissait les croix de pierre aux carrefours des chemins de campagne. Elle louait Dieu, le remerciait d'être en vie, d'avoir des parents et grands-parents qui la chérissaient. Elle aimait aussi se réfugier dans l'atelier pompeusement appelé "menuiserie" où au fond se trouvaient de grands tonneaux vides couchés où elle se réfugiait, le cur battant. Elle avait peur dans le noir des possibles animaux rampant. Mais, dans cette cachette, elle écoutait le silence. Elle priait comme sa grand-mère lui avait appris. Elle avait après des études classiques, senti, petit à petit, l'appel de Dieu. Donner plus de sens à sa vie, c'était assurer sa survie. Pas seulement dans l'espoir du paradis, vivre pour les autres permettait, pensait-elle, de vivre plus intensément. Aussi, le bénévolat, dans beaucoup d'associations caritatives, lui avait enseigné très jeune que la vie est multipliée par deux quand on aide son semblable.
Ensuite, elle découvrit Lourdes en tant que bénévole pour pousser les fauteuils roulants des malades. L'esprit de Lourdes la fit réfléchir. Voir autant de malades portés par leur foi, leur espoir d'une guérison ou au moins d'une amélioration la fortifia dans son désir de devenir religieuse. Dans chaque être humain, elle retrouvait le visage de Celui qui avait dit "Aidez-vous les uns, les autres". Aimer le Christ et lui consacrer sa vie était choisir la meilleure part. Selon elle, la prière, sur tremblante de l'amour, pouvait faire des miracles. Elle vivait pour les hommes, les femmes et les enfants de ce monde même si elle était isolée, sans mari, sans enfant. N'avait-elle pas choisi l'Époux le plus parfait ? C'était lhumanité de Jésus qu'elle priait et retrouvait Le Seigneur dans chaque être humain souffrant.
Pourtant il avait fallu quitter ses parents qu'elle aimait et les peiner en adoptant une route incongrue pour eux : ne pas se marier, ne pas avoir des enfants, abandonner les opportunités d'avoir un métier intéressant et bien payé. N'avait-elle pas suivi des études longues et difficiles qu'elle avait parfaitement réussies ? se demandaient son père et sa mère qui avaient beaucoup économisé, s'étaient sacrifié pour assurer un meilleur avenir à leur fille qu'ils avaient eu, eux-mêmes. Ils étaient catholiques et ne comprenaient pas le sacrifice de leur unique enfant.
Sur Marie des Anges avait choisi une voie difficile mais la vie en communauté l'aidait. L'amitié, le partage permettaient aux surs de supporter le froid l'hiver, les rations parcimonieuses, le travail parfois rébarbatif. Tous ces sacrifices, elles les offraient à Dieu afin qu'Il écarte de Son Bras Puissant la terrible épidémie qui s'abattait sur le monde.
Elle cherchait toujours à approfondir sa foi et aimait lire Pascal, Marie Noël. Quand Christelle l'interrogea sur la nécessité d'agir dans ces temps difficiles, Sur Marie des Anges lui cita Pascal : "Jésus Christ est un Dieu dont on s'approche sans orgueil et sous lequel on s'abaisse sans désespoir".
Elle trouvait dans la prière un moyen de communiquer avec le Christ. Elle était vraiment l'épouse de Jésus, c'était Lui qu'elle avait choisi. Elle avait l'Époux idéal. Elle avait tant entendu des confidences de femmes malheureuses auprès d'un mari qui les battait, les violentait. Elle priait pour que ces femmes aient le courage de quitter leur bourreau. C'était un dilemme car le mariage religieux ne peut pas être rompu, mais chaque être a le droit voire le devoir de sauver sa vie, pour lui et pour les autres. Ainsi, Soeur Marie des Anges apporta du réconfort à Christelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deuxième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 1

"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent" Victor Hugo

Michèle avait choisi par vocation d'être médecin. Dans sa famille, aux revenus modestes, elle avait dû consentir à beaucoup de sacrifices : travail pendant les vacances (des boulots mal payés et chronophages), pas de sorties, très peu d'ami(e)s, elle passait ses soirées, ses nuits à apprendre. En plus, l'enseignement était ardu. En tant que femme, il avait fallu se montrer distante. Elle avait appris à dissimuler ses sentiments, ses peurs, ses dégoûts. Devant les autopsies, par exemple, elle avait caché ses appréhensions. Dans son combat contre elle-même, contre ses condisciples, contre le sort qui accablait la plupart de ses malades. Elle luttait d'abord contre le Mal, la maladie et la mort. Sa vocation lui était venue après une maladie grave qui l'avait tenue allongée de longs mois. Dans l'hôpital où les médecins se relayaient à son chevet, elle avait grandement apprécié le personnel médical et même avait envié les docteurs qui parvenaient à vaincre la Mort, à redonner la santé à leurs patients, à consoler leur famille en cas de décès.
Puis, un jour, dans l'église Saint Sulpice, à la chapelle des anges, elle avait longuement admiré la fresque de Delacroix : le combat de Jacob et de lAnge. Cette métaphore de la lutte entre le Bien et le Mal trouva une résonance personnelle dans son esprit. N'est-ce pas le plus beau métier du monde de sauver ses semblables de la mort, de la maladie, de leur épargner la souffrance ? Ne pouvant être un Saint ou une Sainte, des hommes et des femmes sont devenus médecins.
Egalement, elle avait été confrontée à la mort de sa mère et avait compris qu'un médecin plus perspicace aurait pu sauver sa maman, âgée à peine de cinquante-huit ans. Michèle avait parcouru dans les bibliothèques des ouvrages de médecine. Elle y avait appris les symptômes avant-coureurs de ce cancer, elle aurait pu les décrypter si elle avait su, avant. Mais, les généralistes ne s'inquiétèrent pas quand elle leur rapporta que sa mère s'endormait en plein après-midi, tout en parlant avec elle. Sa mère, qui n'avait jamais été malade, eut une attaque. Conduite aux urgences puis après dans un service neurologique, elle subit des examens. Le verdict tomba comme un couperet : c'était un cancer à la tête, inopérable. Le professeur, grand ponte, la reçut, elle et son père, avec froideur et presque cynisme, les informant laconiquement que leur mère et épouse n'en avait que pour six mois tout au plus, ils devaient sourire devant elle et pleureraient après. Comment faire semblant d'être heureuse quand désespérée, chaque jour davantage, elle repoussait le spectre de la mort ?
Elle fut révoltée : " quel besoin ont les médecins d'annoncer la fin prévue d'une vie si brutalement et à quelle nécessité obéissent-ils en combattant si cruellement le moindre espoir dans le cur des proches de la famille ? " Michelle venait chaque jour parler à sa mère même si celle-ci dans un semi coma ne l'entendait pas, ne répondait pas. Elle s'attirait les foudres de l'infirmière ou du grand professeur : il ne fallait pas apporter des fleurs, des douceurs, il ne fallait pas être triste. Si elle notait une amélioration de l'était de santé de sa mère, le grand professeur lui rétorquait : "Cela ne veut rien dire, de toutes façons, elle ne vivra pas plus de six mois."
Certes, on pouvait lui répéter que sa mère était perdue mais Michèle croyait toujours qu'il surviendrait un miracle. Elle écrivit, téléphonant à d'autres médecins : elle aurait dérangé le monde entier pour que la mort épargne sa mère. Chaque fois qu'elle approchait de l'hôpital et plus encore quand elle poussait la porte de la chambre, mille oiseaux noirs battaient des ailes dans sa poitrine. Elle vivait dans la crainte à tout moment que sa mère ne meure. Elle tentait d'immobiliser le temps, d'éterniser le fugitif pour garder en mémoire au moins ces lambeaux de présents.
Être médecin était sa vocation, elle en était sûre : non seulement sauver la vie du malade, lui épargner des souffrances, mais aussi savoir le rassurer et donner de l'espoir aux proches du patient, quitte à mentir un peu !
Après la mort de sa mère, chaque matin, après une nuit sans sommeil, des cauchemars, elle était ramenée à la dure réalité par une sirène aiguë dans sa tête, qui lui répétait la nouvelle atroce de ce décès. Le dialogue entre Michèle et son père était interrompu depuis longtemps. L'ombre de l'absente les séparait comme une vitre infranchissable. La mère était leur lien pendant sa vie ; ils étaient perdus l'un et l'autre devant ce lac d'indifférence que des années de non-dits, d'élans de tendresse réprimés avaient formé. Auprès du lit où la morte gisait, ils auraient pu renouer les fils distendus de l'affection, mais ils voguaient chacun dans leurs pensées sur l'océan du malheur.
Michèle comprit que le combat du médecin était celui de la vie contre la mort. C'est à cette tâche qu'elle s'efforça de parvenir. Avec les cas de coronavirus, les médecins comme tout le personnel médical avaient fort à faire. Ils devaient porter les masques, bricoler des tenues qui les faisait ressembler à des cosmonautes. Ils ne comptaient pas leurs heures de présence à l'hôpital ! Heureusement, l'ambiance entre les équipes soignantes était chaleureuse. Cela les aidait à supporter les déconvenues. Parfois, des moments d'espoir : tel malade du coronavirus semblait s'en sortir. Puis, alors qu'il semblait en bonne voie de guérison, il mourait, laissant tout le personnel médusé.
Michèle se souvint de la pièce de Tchekhov Oncle Vania, et des paroles qu'elle faisait siennes :
"Cela me pèse sur la conscience comme si c'était moi qui l'avait tué, il meurt pendant que je le soigne".
Michèle échangeait avec ses colloques sur ce problème de responsabilité : eux préféraient accuser le hasard, le destin. Le docteur Michèle se remettait en cause, en particulier, quand il avait fallu lors de pénurie de lit, choisir entre les malades :
"Pourquoi celui-ci plutôt que celle-là ?" demanda-t-elle à son confrère Edmond
- "Il est plus jeune. Il a plus de chances de s'en sortir !
- Oui mais elle est plus combative, elle a eu des maladies mortelles et s'en est sortie, c'est donc que son corps combat et que psychologiquement, elle est assez forte pour guérir."
A la différence de ses collègues. Michèle combattait les idées reçues, les statistiques. Elle faisait confiance à l'instinct de survie de ses malades.
Mais, Michèle ne se contentait pas d'être un médecin hors pair, elle militait pour la cause des femmes battues.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

"Il y a toujours, puisque je le dis, puisque je l'affirme, au bout du chagrin, une fenêtre ouverte"
Mère Térésa

Quand l'administration décida du confinement, Michèle s'inquiéta tout de suite du sort des femmes battues. En effet, dans une promiscuité quotidienne, le nombre de violences conjugales ne manquerait pas de grimper. Une femme, tous les trois jours, mourait des suites de ces violences, en période normale. Elle apprit très vite que les plaintes ou cas recensés avaient augmenté de 35 pour cent. Tout en soignant les malades de l'épidémie, elle recevait les femmes victimes de violences.
A l'hôpital, Michèle vit dans la salle d'attente une femme prostrée qui avait l'air de vouloir disparaître à la vue de tous. Prostrée sur sa chaise, le dos courbé, les mains sur sa figure, cette patiente lui était inconnue mais elle représentait la douleur aussi bien que la mater dolorosa qu'elle avait pu admirer dans les musées.
Michèle fit rentrer la femme au visage dissimulé par une écharpe. C'était une femme jeune mais son attitude craintive n'échappa pas à Michèle.
- « C'est une femme battue », pensa-t-elle
Après quelques questions d'usage, Michèle aborda le sujet des violences conjugales :
-«  Depuis combien de temps, êtes vous confinée avec vos enfants, votre mari ? Comment se passe cette cohabitation ? »
La jeune femme tourna la tête, gênée. Puis, tout d'un coup, comme un torrent qui dévale brutalement la montagne, elle raconta la vie de violences conjugales qu'elle connaissait depuis longtemps mais que le confinement avait brusquement aggravée. D'abord, des gifles, puis des coups, pour un repas raté, un retard, et tant d'autres mauvaises raisons. Comme les enfants toujours présents souffriraient de la violence de leur père, Magali se taisait, dissimulait ses larmes, feignant d'être heureuse : que n'aurait-elle pas fait pour leur tranquillité ? Magali effectuait toutes les tâches ménagères, car même au chômage technique, son mari ne l'aidait pas alors qu'elle même travaillait comme caissière dans une supérette du quartier. Toute la journée, la crainte d'attraper le virus qu'elle aurait pu transmettre aux enfants, le souci constant de respecter les gestes barrières la préoccupaient. De retour chez elle, elle devait vérifier les devoirs des enfants. Alors que leur père était présent toute la journée chez eux, Pierre et Jeanne lui adressaient des messages anxieux sur des problèmes de calcul qu'ils ne savaient pas résoudre. Magali répondait à leurs messages comme elle pouvait, déjà débordée au travail. Harassée de sa journée au magasin, elle avait encore à expliquer les leçons, surveiller les devoirs alors que son mari regardait des DVD de match de football et jouait aux jeux sur internet. Pierre et Jeanne, jaloux de voir leur père se prélasser toute la journée devant la télé, refusaient de travailler, criaient. Leur père les réprimandait et ce fut pour les défendre qu'elle reçut un coup de poing qui lui ouvrit l'arcade sourcilière. Magali avait dû partir à la pharmacie, effrayée par le sang perdu. La pharmacienne avait contacté la police. Le mari avait été emmené pour interrogatoire mais il reviendrait, elle le savait. Il ne prononcerait même pas un mot d'excuse.
Il faudrait toujours feindre dans cette guerre muette où elle perdait chaque jour un peu plus d'autonomie, d'indépendance. Elle aurait pu le quitter déjà depuis longtemps mais elle s'était sacrifiée pour ses enfants. Son mari ne lui saurait aucun gré de tous ses efforts. Elle était lasse. Ses yeux rougis, ses cernes bleuâtres parlaient pour elle.
- Vous n'avez pas de parents proches chez qui vous pourriez vous réfugier avec vos enfants ?
Magali secoua négativement la tête :
- « Mes parents sont morts, mon frère et ma sur étaient loin, indifférents à ses problèmes. Ils ne se fréquentaient plus : mon mari les a éloignés de moi des le début de notre mariage.
- Des amis, alors ?
- Non, je n'ai que des collègues qui ont de trop petits appartements pour nous accueillir mes enfants et moi ! Déjà que Jeanne et Pierre sont un peu bruyants, un peu remuants, ce n'est pas possible ! Je ne m'en séparerai pas. Je ne peux les abandonner à leur père qui, non seulement ne s'en occupe pas mais les rudoie. »
Michèle savait bien que depuis le confinement, les violences conjugales avaient augmenté de 35 pour 100. De plus, des enfants aussi avaient été les victimes de ces violences : des pères indignes les frappaient comme ils battaient leur femme. Le docteur savait que la situation était intenable. L'incertitude de la durée du confinement empêchait de prévoir l'éviction du père du domicile conjugal et en attendant une mise à l'abri d'urgence. Les organismes n'étaient déjà que trop sollicités. La place manquait. Michèle possédait un appartement assez grand pour recueillir Magali et ses enfants. En contrepartie, Magali s'engagea à entretenir l'appartement et à aller chercher à l'école la fille de Michèle qui était débordée à l'hôpital. Depuis longtemps sensible à la cause des femmes, Michèle ne se contentait pas de dénoncer l'injustice de la condition des femmes battues, elle agissait. Elle manifestait pour la cause des femmes. Elle tenait des blogs pour aider les femmes battues. Ainsi, elle avait appris l'histoire d'Anne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

"La vie est un risque, si tu n'as pas risqué, tu n'as pas vécu ' 'Sur Emmanuelle

Anne vit avec un mari violent, mais en temps normal comme elle exerce un métier qui lui plaît, qu'elle retrouve ses amies souvent, elle ne veut pas partir en demandant le divorce. En plus, elle a deux beaux enfants qu'elle ne veut pas perturber en se séparant de leur père. Or, avec le confinement comme elle et son mari font du télé travail, chez eux, la situation du couple se dégrade rapidement. Anne reçoit, toute la journée, de la part de son mari des critiques injustifiées, pire des insultes et parfois même des gifles. Les enfants, âgés de six et neuf ans étaient mis le plus possible à l'écart, mais dans l'appartement, les cris du père résonnaient. Les deux petits étaient très attachés à leur mère tendre, affectueuse et qui s'occupait de tout. Durant le confinement, ce n'était qu'elle qui leur expliquait les devoirs, les aidait de son mieux, les levait, les habillait, leur préparait ce qu'ils aimaient manger. Le père distant, passait son temps à lire ses mails, à travailler sur son ordinateur. Quand les enfants jouaient en faisant un peu de bruit, il sortait de son bureau, courroucé. Anne devait intervenir pour protéger ses enfants. Elle détournait la colère du père sur elle.
Mais, un jour, ce fut trop. Anne avait été frappée violemment par son époux. Fatiguée de se trouver dans cette prison sans barreau où dans chaque pièce, elle ne se sentait pas chez elle mais chez lui. Toujours sur le qui-vive, pour une pièce non rangée, des vêtements non repassés, un repas en retard, elle craignait d'incessants reproches. Les enfants avaient bien le droit de se distraire, elle ne pouvait pas exiger d'eux que toujours leur chambre soit impeccable. Fuir, elle aurait dû fuir mais abandonner Paul et Marguerite à un père colérique, injuste, le plus souvent violent, elle ne le pouvait pas. Et puis à cause du cause du confinement pour le coronavirus, où pouvait-elle aller ? Elle aurait tant aimé partir dans son ancien appartement avec terrasse arborée, véranda, jardin de copropriété mais, malheureusement, elle avait dû louer cet appartement qu'elle avait acquis, toute seule, avant son mariage, pour complaire à son mari. Elle avait dû acheter avec son époux, un trois pièces sans balcon, sans terrasse, tout cela parce que cet égoïste préférait habiter plus près de son travail. Voilà le sacrifice auquel elle avait consenti ! Elle regrettait tous les jours de s'être mariée. Oui, cela aurait été plus simple pour se séparer et elle aurait vécu dans son appartement à elle avec ses enfants. Elle aurait pu récupérer Paul et Marguerite plus facilement car son mari n'étant pas paternel, n'aurait pas exercé son droit de visite très longtemps.
Maintenant, elle se sentait seule, elle aurait aimé téléphoner à ses collègues de travail, à ses amies mais son mari jaloux lui aurait fait une scène. Un jour, elle l'avait surpris en train d'ouvrir son téléphone portable pour regarder les derniers appels émis ou reçus. Heureusement elle était arrivée à temps et avait repris son portable, prétextant qu'elle devait appeler pour une livraison de courses. La vie avec son mari ressemblait à une guerre muette, pleine de duplicité. Elle lui mentait, lui combinait des coups bas pour la prendre en faute. Elle avait pourtant toujours été fidèle ! Même d'une amitié féminine, son conjoint aurait été jaloux. Si elle partait pour des achats de première nécessité, il l'appelait à dessein, prétextant avoir oublié de lui demander d'acheter un produit indispensable. Il vérifiait insidieusement si elle était bien dans le magasin. Également, il interrogeait les enfants s'ils l'avaient accompagnée : qu'avaient-ils vu ? qui avaient-ils rencontré ? En plein confinement, quand les gens équipés de masques, pour la plupart, évitaient, même, de se croiser, ces questions étaient d'un ridicule achevé ! Le plus souvent, quand Anne le pouvait, elle s'installait avec sa tablette devant sa fenêtre qui dominait la Seine. Les eaux d'or de la Seine s'étiraient paresseusement sous le soleil. Les quais déserts, les bancs vides lui donnaient une envie irrépressible d'aller s'asseoir pour prendre l'air mais c'était interdit. Il fallait, dans ce lieu clos, supporter la mauvaise humeur constante, les scènes de ménage que lui imposaient son mari.
Pour se détendre, Anne écoutait inlassablement du Mozart, en particulier l'adagio du concerto 23. Les notes du piano s'égrenant doucement mélancoliques, lentes et la reprise après des violons paraissait s'adresser à elle-même. La musique, comme langage de l'âme, dans ce morceau résumait sa vie : un peu d'espoir mais tant de déceptions et pourtant la lumière se trouverait nécessairement au bout du chemin. A travers les siècles, Mozart, Chopin et tant d'autres lui communiquaient le désir de lutter contre l'injustice que lui imposait son époux. Parfois, l'absence de promeneurs, de citadins, de cyclistes la désarçonnait : combien de temps cela allait-il durer ? Quand le soir s'annonçait, elle appelait les enfants pour leur montrer les vitres des fenêtres de tous les bâtiments d'en face qui captaient les derniers rayons du soleil pour les renvoyer en rectangles lumineux comme autant de signaux de la présence humaine. Les enfants imaginaient la vie de ceux qui vivaient derrière ses fenêtres. Y avait-il des enfants de leur âge ? En fait, plus que de regarder derrière la vitre simplement ils voyaient, avec leur cur bien au delà derrière les volets clos. L'existence des parisiens qui ne les préoccupait pas en temps normal leur paraissait énigmatique et ils déchiffraient maintenant, les indices de la présence de ces amis inconnus.
Elle interrogeait ses enfants : savaient-ils qu'on entendait à nouveau les oiseaux à Paris ? Annonciateurs de renouveau et d'espoir, ils reprennent petit à petit possession des arbres. Egalement, venant de la mer ou du canal de l'Ourcq, des mouettes survolaient la Seine. Paul compta les cygnes majestueux qui se déplaçaient en ligne. La Nature est belle à Paris quand la pollution et le bruit ne la gâchent pas. A droite, au fond, Notre Dame de Paris attire le regard. Certes la grue montre qu'elle est encore et pour longtemps en travaux mais elle résiste comme un vaisseau sur l'île de la Cité. Elle nous embarque vers l'avenir. Anne assurait aux enfants qu'il reviendra ce temps qu'ils attendaient, comme tous, où la guérison complète permettra la vie d'autrefois : le bonheur de se réunir et surtout de visiter les musées qu'une fée semble avoir endormis en attendant que les touristes et les parisiens comme des princes charmants reviennent, par leur amour de l'art, les réveiller. Paris, expliquait-elle à Paul et Marguerite, appartient à chacun et à tous,
Paris est si beau, si prometteur dans ce printemps plein d'espoir que les enfants croyaient de toutes leurs forces que l'épidémie serait vaincue et qu'ils pourraient retrouver leurs amis, leurs jeux à l'extérieur
Anne avait décidé de se venger de ce mari injuste, jaloux, violent. Elle songea que l'épidémie pourrait l'aider : tant de cas de contaminations et si Hugues l'attrapait, le virus ?
Alors, elle imagina un plan diabolique, elle le dénoncerait à la police qui se chargerait bien de l'isoler et de le contraindre. Elle savait que le virus se propageait très vite. Elle apprit qu'elle même était porteur sain. Elle n'en dit rien à personne, surtout pas à son époux, sans paraître le moins du monde affectée. Son mari pouvait très bien être contaminé chez eux. Alors, elle ne lui nettoya plus ses vêtements, ne lui procurait plus de masques neufs. Quand les enfants n'étaient pas dans la pièce, elle ne désinfectait plus les poignées de portes, ne portait pas de masque, elle ne respectait pas les gestes barrières à l'égard d'Hugues. Ses enfants, elle les surprotégeait. Avec eux, elle prenait bien soin de mettre un masque et d'observer une distance respectable pour les approcher avec prudence. Anne, patiemment, se disait que l'asthme de son mari aiderait à ce que rapidement le virus le décime. Quoiqu'elle fût catholique, elle envisageait ce décès probable avec désinvolture, même sans remords. Il l'avait bien cherché.
La dernière scène avait été plus violente que les précédentes. La nuit, alors que les enfants dormaient, il l'avait réveillée brutalement pour se plaindre d'elle: il fallait qu'elle soit toujours à sa disposition. Ces viols fréquents qu'elle subissait, sans se plaindre à cause de Paul et de Marguerite qui auraient pu entendre derrière la cloison de leur chambre, elle en avait assez. Elle le lui dit, il essaya de l'étrangler. Elle dut à son énergie, à sa volonté irrépressible de vivre d'échapper à la mort. Mais, maintenant, elle avait peur, une peur atroce qu'il ne la tue. Après les gifles, les coups de poing, les cheveux tirés, allait-elle être étranglée par cet homme, qui lui avait juré avant leur mariage qu'il l'aimait ? Est-ce là le prince Charmant qui avait promis de la rendre heureuse quand elle l'avait épousé dix ans avant, qui pouvait vouloir la tuer ? Elle savait bien qu'en France une femme meurt tous les trois jours des suites des violences conjugales.
La proportion des plaintes des femmes s'était accrue de 35 pour cent en cette période de confinement. Au départ, elle n'imaginait pas vivre des violences conjugales pour des insultes, des gifles, des coups car ils étaient espacés. Maintenant, elle appartenait bien à la triste cohorte des femmes battues. Combien de surs de misère connaissaient derrière des murs clos le même destin ?
Ainsi, après plusieurs jours, Hugues, son mari, se plaignait de fièvre, de douleurs à la tête et pire, il ne parvenait plus à manger : tout lui paraissait sans saveur, fade, insipide. Son humeur était massacrante. Anne aurait dû appeler le 15 mais elle s'en garda bien. De toutes façons, irascible, son époux, par fierté imbécile, ne consentit jamais à suivre les prescriptions des gestes barrières. Anne lui abandonna leur chambre et se réfugia dans une autre pièce. Sur le canapé du salon, elle pouvait enfin dormir, sans être importunée. Enfin, il prévint les urgences. Une ambulance vint le chercher et l'appartement retrouva un peu de calme. Anna partit se faire dépister, elle n'était pas atteinte. Ce fut un soulagement : elle pouvait s'occuper des enfants. Quelque temps après, elle apprit le décès de son mari. Vengeance implacable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 4

Histoire d'Isabelle

"Il n'est jamais trop tard pour faire quelque chose" Saint Exupéry


Isabelle avait épousé pour faire plaisir à sa famille et parce qu'elle était enceinte un homme @@qu'elle avait aimé au début mais elle avait été rapidement déçue par le comportement violent, les insultes de ce mari jaloux.
Rapidement, il en était arrivé aux gifles et aux coups. Il lui tirait les cheveux, la poussait, la menaçait. Elle voulait fuir mais ne le pouvait pas. Il la surveillait tout le temps. A l'aide de son téléphone portable, il la harcelait pour savoir où elle se trouvait. Sa jalousie n'avait pas de limite. Elle avait envie de partir. Mais il y avait l'enfant : comment faire pour ne pas éveiller les soupçons ? Elle avait déjà préparé sa valise avec les papiers importants, quelques vêtements pour elle et son enfant, même un nounours auquel tenait Joël. Elle avait caché cette valise sous le lit de l'enfant. Comment partir ? Pas de voiture ! Elle devait absolument trouver de l'aide : il avait déjà menacé de la tuer, si elle le quittait. C'était son jouet ! Sa famille ne lui serait d'aucune aide !
Les jours gris s'ajoutaient les uns aux autres. Son sourire avait fui : d'ailleurs, elle n'avait aucun motif de sourire. Elle baissait la tête tristement. Quand elle marchait dans les rues, elle choisissait toujours le trottoir le plus à l'ombre, Elle risquait de croiser moins de citadins et le soleil pouvait moins révéler cruellement les traces de ses larmes. Dans cette prison sans barreau, elle ne sentait nulle part à l'abri dans aucune des pièces. Le confinement avait aggravé les relations du couple. Comme il ne pouvait plus pratiquer les sports dont il était friand comme le football, la lutte, Walter s'en prenait à sa femme toute la journée. Sensible aux cris de son père, leur petit enfant Joël hurlait. A cinq ans, il était assez grand pour comprendre la violence physique et verbale de son père. Joël, lui même, avait été plusieurs fois enfermé dans sa chambre, privé de dessert, ou secoué brutalement pour une peccadille. Il était un enfant calme, jouant tout seul, en avance pour son âge, il savait déjà lire. Isabelle le lui avait appris, petit à petit et il adorait écouter les contes et les récits que sa mère venait lui lire pour qu'il puisse s'endormir, heureux. Pour cet enfant, sa seule consolation, son seul amour, Isabelle aurait tout supporté. Parce que son mari lui avait demandé (ou plutôt intimé l'ordre) de travailler pour la comptabilité de la petite entreprise : son garage, Isabelle n'avait pas pu obtenir de diplôme au-delà du brevet des collèges. Elle savait bien qu'avec un petit enfant, seule, sans appui de sa famille, elle ne retrouverait pas de travail. Elle n'avait aucune économie personnelle, même elle n'avait jamais cotisé pour sa retraite. C'est son mari qui payait la sécurité sociale, encore lui, qui s'assurait pour sa retraite. Si elle partait, son mari Walter allait lui faire mener une vie d'assistée. Elle avait connu déjà l'injustice de devoir demander de l'argent à son mari pour ses dépenses personnelles et celles du petit Joël. Si elle avait pu obtenir un carnet de chèques après bien des pourparlers, son conjoint qui contrôlait tout, lui demandait des comptes pour des chaussures ou un pull acheté en solde. Il prétextait qu'il avait besoin des tickets de caisse. Ce manque de confiance hérissait Isabelle. Elle s'évertuait à le rendre heureux, content et il était toujours de mauvaise humeur. Sans son fils, elle serait partie vingt fois, même la misère plutôt que la honte d'être une véritable esclave sexuelle, employée de ménage en outre participant par son travail à la croissance de la petite entreprise. D'ailleurs, le garage était au nom de Walter, il l'avait acquis avant le mariage. Isabelle, malgré cinq ans de labeur, risquait de parti sans rien. Comment élever correctement Joël dans ces conditions ? Le couple ne partageait aucun goût et pour la musique et pour la littérature ou la culture, le cinéma.
Toute seule, Isabelle avait appris à aimer la musique classique, l'opéra. En cachette, elle écoutait France musique, empruntait (avant le confinement) des DVD d'opéras, des CD de musique classique. Quand elle n'avait pas le moral, elle écoutait un morceau de musique. Elle préférait les opéras de Mozart, notamment La Flûte enchantée, L'Enlèvement au sérail, Le Mariage de Figaro... Elle était sensible à la place donnée par Mozart aux femmes. Elles gagnaient à la fin sur les hommes : elles se montraient plus intelligentes, plus libres. Leurs chants étaient souvent les plus beaux.
Face à son mari, elle ne parlait jamais de son jardin secret. Elle ne lui avouait pas aussi combien elle aimait la poésie et la littérature. Elle lisait en cachette, dérobant ses rares moments de tranquillité quand son mari était absent pour lire. Elle mettait des couleurs roses dans cette vie triste qui était la sienne. Elle échappait à l'angoisse des scènes en s'évadant par l'Art. Très jeune, Joël avait montré aussi son goût pour la musique, pour des petits morceaux comme "vous dirais-je Maman ?". Le père était absent, étranger à tout cela, seules les émissions sportives, l'intéressaient et un peu l'actualité.
La cassure entre les deux êtres s'était aggravée lors du confinement. Comment s'éviter toute la journée dans un petit appartement sans balcon, au dessus du garage ?
Les odeurs de cambouis, les coups donnés sur les tôles la gênaient. Maintenant ce tête-à-tête continuel avec Walter lui faisait redouter le pire. Elle avait appris à mentir, à déguiser les faits anodins, par exemple, elle écoutait en vaquant aux occupations ménagères dans la cuisine, la radio qui diffusait des opéras mais il fallait mettre le son le plus bas possible pour ne pas réveiller Monsieur qui ronflait devant la télé diffusant un ancien match de foot. Après les gifles, étaient venus les coups de pied, dans les jambes, puis les coups de poings dans le visage et la poitrine. Dans cette guerre muette, elle fourbissait ses armes : la vengeance. Elle s'était étonnée depuis longtemps que certains soirs, il disparaissait dans le garage. Qu'allait-il y faire puisque comme tant de petites entreprises, comme le garage, étaient fermées ?
Un soir, le cur battant, elle le suivit par l'escalier qui amenait directement au sous-sol du garage. Elle entendit le portail en fer grincer et une voiture entra. Alors, son mari prit une plaque numérologique et rapidement changea les plaques. De plus, les deux hommes sortirent dans le bureau vitré. Isabelle ne pouvait rien entendre mais elle comprit à leurs gestes que la discussion était houleuse. Isabelle avait appris à lire sur les lèvres quand elle s'était occupée de jeunes sourds, avant son mariage. Elle distingua les mots : "drogue", "cachette", "flics", "révolver". Elle comprit que son mari était mouillé dans une affaire de trafic de drogue. Alors, elle plaça une caméra de surveillance orientée vers le bureau. D'autres visiteurs suspects ne tardèrent pas à apparaître. Elle guettait ! Trois jours après, les deux hommes sombres revinrent. Walter leur ouvrit la porte du bureau avec précaution. Et là, Isabelle les observa. La caméra fonctionnait mais cachée dans un coin de la pièce : ils ne la virent pas.
Le lendemain, alors que son mari faisait la sieste, Isabelle alla récupérer le film. Elle prétexta une course à la pharmacie pour appeler les gendarmes. D'abord, elle montra ses traces de coups, elle dénonça son bourreau. Enfin, elle leur communiqua l'enregistrement de la caméra. Isabelle ne s'était pas trompée. Walter était un truand, même confiné, il avait continué ses trafics de drogue par appât du gain. Il écopa d'une peine de prison ferme car en plus il fut prouvé que cet homme violent battait sa femme, malmenait son enfant. Walter n'aurait pas fait de prison pour le seul motif de violence conjugale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Troisième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 1

"Il est temps d'instaurer la religion de l'amour" Aragon

Le confinement éloigne certains couples mais paradoxalement en rapproche d'autres.
Ainsi, les couples qui n'avaient pas pris la peine de se parler depuis des années, se redécouvrirent. Tout d'un coup, l'autre devenait plus important. Parce que les rapports ave les collègues au travail n'étaient plus possibles, les échanges entre conjoints reprennent de l'importance. Une nouvelle lune de miel peut se produire, chacun retrouvant dans son âme sur, son double.
Dans le sixième arrondissement de Paris, Marcel et Pierrette étaient ce qu'on peut appeler un vieux couple : cinquante ans de mariage. Certes, ils ont réussi leur vie professionnelle et familiale. Ils ont toujours travaillé, ont gravi les échelons de l'administration et ont pu acquérir une aisance matérielle ce qui leur a permis d'offrir des études longues à leurs deux enfants. Mais leur fils et leur fille mariés à l'étranger, les ont laissés seuls. Parce que des années de non-dits, de silence les ont éloignés l'un de l'autre, ils ont trouvé des dérivatifs, des amis en dehors de leur couple.
Mais, à cause du confinement, ils ont dû abandonner leurs collègues, leurs passions et se retrouver seuls. Il a bien fallu qu'ils recréent une certaine complicité. Finalement, leur amour qui avait l'air d'être enseveli, est ressurgi du lac d'indifférence où l'habitude les avait plongés. Chacun a retrouvé l'autre avec le même regard amoureux des premières rencontres. Une autre découverte. Ils se sont dit des choses aussi simples que celles ci :
-"Comme ton pull vert est assorti à la couleur de tes yeux !
- Toi, tu es mieux vêtu que hier, ta chemise te va mieux !"
Ainsi, même s'ils craignaient d'attraper le coronavirus virus, ils échangeaient des paroles et des gestes tendres. D'ailleurs, le plus dur pour eux, n'était pas de mourir mais de ne pas partir ensemble dans ce pays des étoiles qu'on appelle l'au-delà.
- "Pierrette, souviens-toi quand nous nous sommes rencontrés.
- Oui, c'était à Paris. Nous étions étudiants."
Un sourire complice. Et tout un pan du passé émergea de leurs souvenirs. Comme ils l'avaient aimé ce quartier latin. C'était au jardin du Luxembourg. Comme Marius avait découvert Cosette assise sur un banc, Marcel avait été intrigué par la présence d'une fille qui lisait avec assiduité ses cours. Elle revint les jours suivants, elle se mettait toujours à proximité du bassin sur une de ces chaises en fer malaisée à traîner mais qui permettait de rester à demi allongé. Le soleil du printemps caressait doucement les statues des reines de France. Dans l'air doux, comme elle lui paraissait royale. Son profil se détachait sur le ciel bleu. Les arbres, les fleurs semblaient figés dans l'attente de leurs premiers mots. Autour d'eux, le bruit des promeneurs s'estompait. Tout d'un coup, Marcel se sentit timide, lui qui n'avait pas peur d'aborder les filles dans les rues ou le métro. D'emblée, il comprit qu'elle lui plaisait bien plus que les autres. Il aurait aimé tout connaître d'elle. Il s'absorbait dans la contemplation de ce petit visage grave aux grands yeux ouverts sur la beauté du monde. Elle était absorbée dans ses lectures. Si elle allait mal le prendre dêtre interrompue !
Heureusement, un coup de vent complice dispersa les feuilles volantes. Marcel fut tout heureux de les ramasser. La belle le regardait avec une légère ironie. Mais, elle sourit gentiment quand il lui tendit la brassée de papiers. Ils parlèrent de leurs études respectives. Il la raccompagna à la vénérable Sorbonne. Il lui demanda la permission d’aller l’attendre à la fin de ses cours.
Ainsi, ils se revirent dans ce quartier latin où les cinémas, les petits restaurants, les terrasses ensoleillées accueillaient, si volontiers les amoureux. Paris protège lamour. Au début, chacun restait sur ses distances, ils se découvrirent petit à petit et comprirent qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Leur goût sur l’Art était semblable. Ils fréquentaient les musées et échangeaient leurs sentiments devant telle ou telle toile, heureux de voir que leur opinion concordait. Au musée du Louvre, au musée du Jeu de Paume, ils parcouraient les salles en se tenant la main. Ensemble, ils allaient à l opéra. Devant les ballets ou les concerts, ils s’enthousiasmaient. Enfin ils se rendirent compte qu’ils s’aimaient.
Puis, tout alla très vite, le mariage, la naissance des enfants Chacun se consacrait à son métier, ses occupations. A la maison, Pierrette débordée de travail avec de jeunes enfants, l’intendance, n’avait plus le temps de consacrer ses soirées à son mari et celui-ci fuyait le domicile familial, jaloux d’être délaissé au profit des enfants. Et l’habitude, en les éloignant, les sépara tout à fait.
Chacun avait ses amis ou ses collègues, ils pratiquaient leur sport, leurs loisirs chacun de leur côté. Les enfants grandirent se marièrent, les laissèrent seuls. Mais ils restaient toujours séparés. Leur conversation se limitait à des observations pratiques, à des considérations générales sur leurs enfants, le temps qu'il faisait.
Pierrette, qui aimait toujours les musées, aurait pu parler des expositions qu'elle avait vues avec ses copines. Mais, elle avait peur de déranger Marcel absorbé dans la lecture de son journal ou par son jeu d'échec. Elle attendait des questions qui ne venaient pas. Elle était trop fière pour exprimer sa peine d'être délaissée. Marcel, lui, aurait voulu qu'elle l'accompagne en vélo retrouver ses partenaires au jeu d'échec. Mais Pierrette n'en avait nulle envie.
Puis, quand elle le regardait, elle avait du mal à retrouver celui qu'elle avait aimé. Il avait grossi avec sa figure rouge et empâtée, ses cheveux étaient presque tous tombés. Il était devenu casanier, colérique parfois. Elle-même, depuis longtemps avait du mal à se reconnaître. Elle se trouvait ridée comme une vieille pomme. Si sa silhouette était restée semblable, elle avait dû mal à se tenir droite, à être alerte. Trop tard pour refaire sa vie ! Elle y avait songé bien des fois pendant le mariage. Mais, pour ne pas perturber les enfants, par manque de foi en elle et en l'avenir, elle avait abandonné ses rêves d'indépendance ou d'une deuxième vie de couple. Son âge avec la cohorte des troubles qui y sont liés, avait sonné le glas de ses dernières espérances. Marcel n'avait même pas senti ses besoins d'une autre vie. Sa femme, pour lui, devait être satisfaite de son existence, un point, c'est tout. Il avait réussi sa vie professionnelle, il gagnait trois fois plus qu'elle. Ses enfants avaient de bonnes situations, bref, il était content de lui. Il trouvait que sa femme avait eu une belle vie même si elle avait sacrifié une partie de ses études et une promotion pour élever les enfants.
Toutefois, il avait peur de la perdre à cause du coronavirus. Que ferait-il sans elle ? Elle reprit toute l'importance qu'il lui avait donnée, au départ. Il la regarda avec affection : "comme elle n'avait pas changé, par rapport à lui : toujours mince avec ses yeux verts". Il avait envie de le lui dire, de la prendre dans ses bras, mais à leur âge, il avait peur du ridicule.
Le confinement fut annoncé : impossible de sortir sauf pour des courses de première nécessité. Le couple de septuagénaires recommença à discuter.

Marcel faisait remarquer à Pierrette combien son pull vert allait bien avec ses yeux.
Quant à elle, elle le complimentait sur sa chemise. Il n'avait fait aucun effort vestimentaire après sa retraite.
Ainsi, peu à peu, ils redevinrent attentionnés l'un pour l'autre. Le mari aida à la cuisine, au ménage : ce qu'il n'avait jamais fait depuis des années. Ensemble, ils contemplaient la Seine. Elle déroulait son ruban argenté dans un Paris quasi désertique qu'ils ne connaissaient pas. Les monuments étaient toujours là immuables, indispensables à la beauté de Paris. Ils allaient marcher un peu le long des quais en s'attendrissant d'entendre les oiseaux chanter. Ils avaient revu des cygnes, des mouettes qui se réappropriaient la nature. Les hommes les avaient chassés pendant tant d'années : des canards avaient été vus traverser, en file indienne, la place devant la Comédie Française.
Ils parlèrent des livres qu'ils avaient lus, des opéras qu'ils avaient vus. Inquiets l'un pour l'autre, ils avaient soin du bien être et de la santé, chacun de leur conjoint. A deux, ils se sentaient plus forts. Ils reconnaissaient leur chance : ils n'étaient pas séparés.

Ils connaissaient un jeune couple qui était séparé. Ces concubins avaient attendu pour se marier. Les bans étaient déposés, la date du mariage programmée, la salle du repas de noces réservée. Mais, il fallait attendre. A quoi bon un mariage sans invités !
Fabienne était enceinte, elle était pressée. Elle était seule dans leur villa provençale puisque Maxime travaillait à Paris et logeait dans un studio. Fatiguée par son état, Fabienne craignait d'accoucher prématurément. Quand elle rencontrait son visage elle ne comprenait pas pourquoi elle avait changé autant : un masque de grossesse avait envahit son visage fin. Dès le matin, elle se sentait malade, nauséeuse. Toute nourriture lui répugnait. Un moment, elle eut l'intention d'appeler sur le champ Maxime pour se plaindre. Mais, elle n'en fit rien. Comment accoucher d'un enfant toute seule ? Plus de parents, pas d'amis, des collègues indifférents. Comment s'occuper d'un bébé toute seule ? Combien de temps, allait durer le confinement ? Sa place à la maternité était retenue, sa valise prête. Mais elle avait trop d'appréhension : même si Maxime lui téléphonait chaque soir, rien ne remplaçait sa présence. Ils avaient essayé la vidéo conférence : chacun voyait le visage de l'autre mais quand la communication s'interrompait : le sentiment d'abandon ressenti par Fabienne était renforcé.
L'interdiction de partir à plus de cent kilomètres affectait tant de gens comme eux : des amoureux, des parents, des petits-enfants....
Maxime avait bien essayé de prendre un train pour rejoindre Fabienne, dans le Sud. Mais, il avait été refoulé à la gare : il n'avait pas de certificat médical justifiant de l'état de santé de sa compagne et justifiant le nécessité de sa présence.
Ainsi, les Français, comme d'autres nationaux, devaient se soumettre aux consignes édictées par des spécialistes qui les privaient de liberté. Des situations absurdes furent révélées : un fils ne put pas rendre visite à son père mourant alors que les gendarmes de son village lui en avaient donné l'autorisation. Le dernier contrôle l'empêcha d'aller au chevet de son père. Non seulement les gens étaient privés de la plus élémentaire liberté, mais ils mettaient en danger leur vie.
Des cancéreuses avaient repoussé la date de leur contrôle dans le centre anti cancéreux où elles étaient traitées. Certaines moururent. Ainsi, pour fuir la probabilité d'attraper le coronavirus les malades ne prenaient plus garde à leur maladie mortelle. La peur régna partout et les statiques, les constats de l'augmentation des cas de coronavirus propagèrent l'inquiétude d'un bout du pays à l'autre.
Comment cette épidémie se propageait si vite ? Certains de ceux qui avaient la foi pensaient que Dieu avait envoyé ce fléau pour faire réfléchir l'humanité. En effet, l'égoïsme qui régnait en maître, le "chacun pour soi" ne correspondaient pas aux principes catholiques. Peut-être, l'homme serait meilleur grâce à ces épreuves.
C'était bien une épreuve qui déchirait les couples, les familles. Même les amis étaient loin. Une lettre avait du mal à parvenir. Le téléphone ne fonctionnait pas bien dans certaines provinces.
Comme les églises étaient fermées, les messes interdites, les catholiques comme d'autres croyants souffraient de ne pouvoir prier dans un lieu de culte. Certains comme un ministre proclamaient haut et fort qu'on pouvait prier chez soi de la même façon que dans un lieu consacré. Mais c'était quasi impossible dans un petit appartement où il fallait être à plusieurs. Comment s'isoler ou se concentrer dans un espace réduit ? Puis l'angoisse de mourir vite, de façon imprévue, paralysait les personnes âgées ou fragiles.
Le gouvernement jugea bon de préconiser aux personnes de plus de soixante-cinq ans de rester chez elles le plus possible. Cette injustice fut très mal accueillie : pourquoi tel âge plutôt que tel autre ? Des jeunes pouvaient être plus malades selon leur pathologie que des seniors. Déjà que les retraités se sentent culpabilisés sans cesse. Le tollé général suscita des pétitions. Devant l'opposition de la frange de la population la plus matraquée par le marketing, les instance décisionnelles reculèrent ! Ainsi, depuis le début, les scientifiques, les docteurs habilités à donner leur avis sur la situation revenaient en arrière. Pas de masque puis masque obligatoire, d'abord dans les lieux clos mais aussi en extérieur pour beaucoup de villes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

'La vraie morale, la vraie justice, la vraie vertu présupposent l'universalité et donc l’égalité des droits" Nous et les autres
Tzvetan Todorov

 

Le confinement révélait une cassure entre les pauvres et les riches, les banlieusards et les parisiens du centre. Il y avait ceux qui possédaient une résidence secondaire et avaient eu le temps d'y aller avant le confinement et les autres. Les citadins se trouvaient désavantagés par rapport aux provinciaux qui avaient une villa et un jardin.
En plus, la situation économique devint critique pour tous : plus de chômeurs, des entreprises étaient obligées de déposer le bilan, les touristes fuyaient la France, les hôtels, les restaurants et autres, étaient en péril.
A toutes ces difficultés très graves s'ajouta une recrudescence des vols, des arnaques financières, comme bien sûr des violences conjugales.
A cause du confinement, des appartements ou des villas avaient dû être délaissés et ils furent cambriolés. Comme le bruit courut que l'État risquerait de prélever sur les comptes des particuliers, les citoyens inquiets cherchèrent à sauvegarder leur épargne. Mais ils tombèrent de Charybde en Sylla.
Démarchés par téléphone, ils furent bernés par leur interlocuteur. Se servant de la notoriété d'une banque bien réelle, ces financiers peu scrupuleux créèrent un site qui n'avait rien à voir avec la banque dont leur victime avait signé le contrat. Malgré leurs promesses de rendre l'argent, la victime escroquée ne put récupérer son argent.
Harcelée par son trompeur de promesses fallacieuses, bien entendu, beaucoup plus intéressantes que ce qu'elle avait avant jusqu'à ce qu'elle accepte de signer le contrat et de faire un virement, Émilie fut, comme tant d'autres, bernée. L'arsenal des trompeurs était bien rodé.
Sur leur publicité dans l'angle, se trouvait le logo de la banque de France, donc la proposition avait l'air très sérieux. Ensuite, Emilie pouvait se rendre compte que sur internet, la banque était bien référencée et répertoriée par les hautes instances bancaires. Rassurée encore, par le contrat en bon et due forme, elle voulut bien tenter de placer un peu d'argent. Mais l'insatiable chargé d'affaires continua ses appels intempestifs à toute heure du jour. Il arguait que pour Émilie, il avait gardé une opportunité intéressante et qu'il fallait encore faire un virement de 10000 euros pour en bénéficier.
Émilie eut des doutes : "pourquoi s'acharnait-il ainsi sur elle, puisqu'elle avait refusé plusieurs fois ? Ensuite, comment se faisait-il s'il avait une clientèle aussi nombreuse qu'il le prétendait, qu'il insiste autant."
Émilie vit clairement que M B. son soi-disant conseiller financier agissait dans son propre intérêt et non dans le sien, à elle. Ce sale bonhomme s'était enquis au tout début de leur première conversation, de sa situation de famille. Émilie n'y voyant aucun mal lui avait avoué qu'elle vivait seule, sans enfant, cancéreuse avec une espérance de vie réduite.
Donc, il s'en servit. Émilie était une victime toute désignée. Sachant qu'elle mettait une association pour aider les femmes battues et les cancéreuses, bénéficiaire de tous ses biens. M. B. lui proposa sans vergogne d'être couché sur son testament.

Alors, que le coronavirus sévissait encore plus, il n'y avait aucune solidarité et pire, certains profitaient de la situation pour tromper des êtres vulnérables.

Et puis une animosité latente entre les citoyens s'observait.


Le port du masque engendrait des querelles. Dans les transports, notamment.
Christelle observa cette scène.
Une femme très maquillée, l'air hautain, habillée tapageusement, s'adressa sèchement à un pauvre homme à l'aspect souffrant, maigre et malingre
"Alors, et le masque ?"
L'homme fatigué réajusta son masque comme il put. Il respirait bruyamment :
"Je suis sous oxygène thérapie, j'ai une insuffisance respiratoire, je ne peux porter le masque sans cesse"
La femme prit ses grands airs :
"Cela ne vous autorise pas à contaminer les autres
Mais, Madame, je n'ai pas le coronavirus, juste un cancer !"
Il fallait donc se justifier et en plus arguer une maladie mortelle aussi terrible pour n'être pas dénoncé.
Comme dans les années noires de l'occupation, les petits délateurs étaient légion. Ils avaient commencé lors du confinement, ils avaient continué après le déconfinement.
Inlassablement, ils feraient la leçon à leurs concitoyens. Se sentant investis d'une mission donnée par des instances supérieures (le gouvernement, les experts scientifiques, la police, etc., bref tous les corps de l'état) ils étaient à l'affût de la moindre entorse à la règle commune.
Gabriel, homme fier et peu amène, promenait sa haute taille et cinquante cinq ans bien sonnés dans son arrondissement en déplorant le laisser-aller général. Devant le bureau de poste, une file de personnes attendait debout. Une femme vieillie, maigre, épuisée d'avoir marché sous le soleil se faufila pour dépasser la rangée de parisiens qui attendaient leur tour.
Gabriel s'écria d'une voix forte :
"Cette dame n'attend pas son tour".
Il avait vu devant la porte un employé chargé de canaliser le flux des clients.
La pauvre femme avait beau dire d'une voix faible :
"Excusez moi, j'ai une carte d'invalidité à 80 pour cent. Je voudrais m'asseoir ! "
De loin, elle avait repéré une chaise devant la porte ouverte.
Enfin, le préposé vint à son secours :
"Laissez passer Madame : elle a le droit de s'asseoir et de passer en premier, elle est prioritaire".
Beaucoup de gens maugréèrent : certains, même, entre leurs dents, laissèrent échapper ces paroles :
"- Tout le monde est malade.
- Chacun ses problèmes.
- S'il fallait chaque fois, céder sa place, on ne s'en sortirait plus ! "
Et chacun d'évoquer ses maladies :
"Moi, j'ai mal au dos et pourtant j'attends mon tour"
"Puis, si elle était si malade, elle resterait chez elle"
"Mes pieds me font souffrir mais je ne me plains pas, je reste dans la queue"
"Certes, elle n'a qu'à envoyer quelqu'un faire ses courses ou du moins ne pas sortir quand il y a trop de monde"
"Oui, nous, on travaille, on n'est pas à la retraite comme elle".

Des sentiments les plus primaires de jalousie, d'égoïsme, de délation se vérifiaient chaque jour. La peur de mourir comme la crainte d'être reconfinés conduisaient les plus âgés, dépassant trente ans, à être prudents. Mais, les jeunes trop pressés de jouir de la liberté après le confinement n'appliquaient que très peu les gestes barrières, se réunissant pour faire la fête. Des lieux comme les berges de la Seine, le long des canaux étaient très peuplés. Les jeunes gens pique-niquaient et jetaient à la Seine ou à l'eau leurs bouteilles en matière plastique ou leurs canettes ! Ils se moquaient pas mal des consignes : ils ne portaient le masque que dans les métros ou les bus parce qu'ils risquaient une contravention. Que les oiseaux ou les poissons meurent des objets qu'ils laissent au fil de l'eau ne les préoccupent pas : ils vivent dans l'immédiat pour eux !
Puis, le gouvernement avait tant mis l'accent sur l'âge des morts dus à l'épidémie du coronavirus (après soixante-cinq ans) qu'ils se sentaient épargnés. Pour eux les "vieux" comme ils les appelaient devaient bien mourir en premier. Quoi de plus normal ! Leur jeune âge les protégeait, pensaient-ils !
Or, les chiffres inquiétants de la recrudescence du virus montraient que la jeune population n'était plus épargnée, bien au contraire. Mais pour eux, une mort est tragique, mais mille morts, ce n est qun chiffre.
Il fallut imposer le masque à l'extérieur, dans des zones où le public est important : les marchés, les rues très commerçantes, les quais de Seine ou ceux des canaux, certains parcs où les gens se rassemblaient en groupes.
Dans la capitale mais aussi dans les grandes villes françaises, les mêmes restrictions s'appliquèrent. Les contrevenants au port obligatoire du masque furent sanctionnés par une amende importante. Mais comment ne pas crier à l'injustice ? Dans les rues Mouffetard ou Montorgueil, il faut être masqué mais dans les rues parallèles ou adjacentes plus d'obligations.
Il est à parier que les promeneurs les arpenteront davantage
Des rumeurs courent depuis l'apparition du covid.
Pour pallier les pertes subies par l'état en cas de dette nationale trop importante,
le gouvernement aurait le droit de prélever les épargnes de leurs citoyens. Cette crainte fut si forte que beaucoup, se précipitèrent vers des placements mieux rémunérés mais qui se révélèrent être des escroqueries.
Nous serions reconfinés par secteur, dans une même ville, certains arrondissements le seraient d'autre pas, d'autres oui et comment aller dans une zone non confinée, si on résidait dans un district confiné ?
Vivent les villageois, les propriétaires de villas ou d'appartement avec jardin ! Les biens immobiliers retrouvèrent des acheteurs, mais en province surtout. Dans les villes, seuls les appartements avec terrasse ou balcon ou véranda se vendaient très bien et bien sûr ceux qui avaient un jardin. Les citadins émigrèrent vers les banlieues favorisées.

Michel Leiris définit l'homme comme un être social doué de culture. Mais depuis le confinement, l'être humain se rend compte qu'il est dépendant de la nature.
Rester confinés chez soi, dans des appartements exigus sans voir le ciel, un arbre et parfois seulement ne voir qu'un mur en face nous fit regretter la nature.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

"Ce n'est pas de nouveaux continents qu'il faut à la terre, mais de nouveaux hommes"
Jules Verne


Martial professait l'écologie : il était convaincu que le retour à la nature est une question de survie pour l'espèce humaine, pour les animaux mais aussi et surtout pour la planète. Il avait mené tous les combats, assisté aux manifestations en faveur de l'écologie, créé un blog pour mieux faire connaître l'écologie. S'il ne s'alimentait pas du tout vegan, il était volontiers végétarien et en tout cas détestait voir manger de la viande ou même passer devant une boucherie. Ces "cadavres" d'animaux lui répugnaient. Un jour, tout jeune encore, il avait décrété qu'il ne mangerait plus de mammifères. Il avait assisté dans une campagne reculée du centre de la France à la mise à mort du cochon de la ferme et avait été horrifié. Le porc criait de toutes ses forces, il sentait venir la mort. Et le pire était que les gens de sa famille : ses grands parents, ses parents très gentils, de bons catholiques supportaient le spectacle avec calme. Traditionnellement, il fallait tuer le cochon pour faire des provisions pour passer l'hiver. Si dans les années de pénurie, comme pendant la guerre, cela pouvait un peu se comprendre avec la diversité, la qualité des aliments à acheter ou à cultiver s'était trop absurde. Mettre en balance une satisfaction élémentaire de nourriture à bon marché et la vie, la souffrance d'un animal était trop cruel.
Martial s'enfuit, horrifié avec son chien, son ami depuis l'enfance. Ils partirent au fond des bois pour ne plus entendre les plaintes de l'animal sacrifié à l'appétit et à la gourmandise de ses maîtres. Lorsqu'il revint, devant les amas de viandes, le sang qui servirait à faire le boudin, Martial se promit de ne plus jamais manger de mammifères.

Jamais, il n'oublia sa résolution. Sa mère avait beau le supplier "pour avoir de la force" de manger de la viande, son père le menaçait en pure perte. Martial préférait se priver de dîner, se coucher sans souper, plutôt que de manger le cheptel de la ferme. Il aimait trop voir s'ébattre en liberté les agneaux, les veaux, les porcelets si attendrissants. Comment préférer la mort à la vie ?
Il avait pour véritable ami son chien Pompon, avec lui, il arpentait les châtaigneraies, les prés. Il ne craignait pas les serpents ou animaux sauvages avec son gardien à quatre pattes. Il savait que n'importe où il devait aller, son bâtard l'accompagnerait : le plus beau des chiens pour lui avec son pelage fauve et ondulé, ses yeux interrogateurs, confiants, tendres. Quand il devait quitter son ami pour de longs mois, à la fin des vacances, Martial embrassait son ami, le caressait longtemps et dans la voiture qui l'emportait, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus le voir, regardait par la vitre arrière son chien fidèle qui lui manquerait tant. Sa grand-mère lui révélait que chaque fois après le départ, Pompon jeunait pendant trois jours au moins tant il était triste.
Mais, Pompon, son confident à quatre pattes, mourut et au retour des grandes vacances, Martial ne put que retrouver la terre fraîchement remuée où ses restes avaient été ensevelis. Pompon était retourné à la Nature anonyme, ne laissant que des souvenirs même les photos jaunies ou floues n'étaient qu'un pâle reflet du compagnon que Martial avait tant aimé.
Peut-être, si Martial entreprit de longues et difficiles études de vétérinaire, cest qu’il chercha à soigner du mieux possible les animaux qui lui étaient confiés et à les garder le plus longtemps en vie auprès de leurs maîtres. Un vétérinaire en ville ou à la campagne exerce un métier assez différent mais le même amour des animaux se manifeste. Martial le découvrit quand il occupa des cabinets en Province ou dans la capitale. Martial eut besoin d'un nouvelle valve aortique, un bovin ou un porcin fournit la valve après sa mort : encore une bonne raison pour ne pas manger ses mammifères qui lui sauvèrent la vie !

Martial se proclamait écologiste et il avait de la considération pour le saint patron des écologistes : Saint François d'Assise qui appelait les animaux frères. Comme quand il avait apprivoisé le loup qui sévissait à Gubbio, il demanda à Frère Loup de ne plus manger ni impressionner les humains. Frère Loup signifiait son accord mit sa patte dans la main du Saint. Depuis lors, le loup vécut heureux à Gubbio allant mendier sa pitance de maison en maison. Aimé de tous les villageois, il fut pleuré quand il mourut. Saint François savait communiquer avec les animaux : les oiseaux l'écoutaient quand il leur disait qu'ils ne semaient ni ne moissonnaient, mais que Dieu le père les nourrissait.
Ainsi toute la création est solidaire, protéger la terre, l'eau, comme les espèces animales en voie d'extinction est une question de survie pour la planète.


A cause du coronavirus, des chiens furent adoptés ils permettaient à leurs maîtres d'avoir une excuse de plus pour les promener lors du confinement.
Les animaux furent mieux considérés. L'opinion publique s'indigna quand elle apprit par les actualités qu'un cygne à qui des garnements avaient cassé les ufs donc empêchant les poussins d'éclore, s'était laissé mourir de chagrin. L'animal est doué de sensibilité : il doit être protégé et non pas chassé, traité en bête de somme. Ainsi, à Naples, un cheval tirait, sous le soleil accablant, une charrette pour promener les touristes. Tout d'un coup, en plein milieu d'une rue, le pauvre cheval s'écroula. Comme il avait dû souffrir avant d'en arriver là. Le dicton à propos des animaux en particulier ceux domestiqués se vérifie tous les jours : "il ne lui manque que la parole."
Il faut entendre les cris du cochon qui comprend qu'on va l'égorger, dans les campagnes. Il sent venir la mort. Non, la théorie des animaux-machines dont Descartes fait état ne tient pas. Les faits divers qui relatent que dans des abattoirs les animaux sont mal traités, souffrent avant de mourir, sont légion . Les animaux domestiques comme le chat ou le chien sont non seulement abandonnés mais aussi mal soignés, frappés, battus ; ils subissent d'atroces souffrances de la part de leur maître, bien souvent on doit se demander lequel de l'homme ou de l'animal est le plus doué de sensibilité.
Le confinement comme l'épidémie du coronavirus amène à reconsidérer la place de l'animal dans notre vie. Des animaux ont réinvesti rapidement les villes désertées par l'homme lors du confinement. Ainsi, devant la Comédie Française sur la petite place, juste devant la vénérable maison un troupeau de canards à la queue leu leu a déambulé, des animaux sauvages comme un sanglier, un cerf ont été vus dans les villages. Désertés par les hommes, les villes jusqu'aux hameaux recevaient la visite inopinée de ces animaux trop souvent injustement chassés.
Martial, en tant qu'adversaire farouche des chasses à courre, se réjouissait de cette revanche des bêtes. Ainsi il s'opposa à un chasseur qui prétendait faire du bien à la Nature en sacrifiant chaque année des animaux innocents :
- « les chasses devraient être interdites, des accidents de chasse sont à déplorer. En plus dans notre époque où tout le monde en occident peut trouver à manger, nul besoin de tuer des animaux pour se nourrir mais pour afficher des trophées, c'est inadmissible ces chasses organisées pour satisfaire les riches et les puissants où l'animal est aux abois, poursuivi par une meute de chiens.
- Oui, mais c'est la tradition !
- Une tradition imbécile qui perdure depuis des siècles pour le malheur des animaux ! »
Le contradicteur Edmond n'osa plus rien dire. Il habitait la Sologne, pays de châteaux et de chasses à courre. Le tourisme bénéficiait de l'argent des chasseurs.
- « Pourquoi l'épidémie de coronavirus, à votre avis, si ce n'est pour nous faire prendre conscience de tout ce qui ne va pas sans notre monde ?
- Oui, une sorte d'apocalypse, en somme ?
- Attention, il faut prendre le mot "apocalypse" dans son sens premier de "révélation".
Les prophètes de malheur qui se servent du coronavirus pour prédire la fin du monde ont tort. La planète est malade mais elle peut être sauvée si les hommes changent leur comportement vis à vis de la Nature et des animaux. »
Edmond promit d'en parler à ses amis les chasseurs.

 

Ainsi, le coronavirus provoqua pour certains une remise en question.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Chapitre 4

Les héros du quotidien

"L'homme supérieur est celui qui remplit son devoir" Eugène Ionesco

 

Les professeurs
"Les professeurs sont irremplaçables, ils nous apprennent à apprendre" Green

À vingt-cinq ans, Irène avait abandonné un emploi plus en vue et où elle gagnerait plus d'argent pour l'enseignement. Par amour des enfants, mais aussi par passion, pour les matières qu'elle enseignait : la littérature, l'histoire.
Irène croyait fermement quun enfant, un enseignant, un livre, un crayon peuvent changer le monde. Irène aimait apprendre et voir les élèves réussir à lire à la fin de l'année. Elle s'était portée volontaire pour faire la classe aux enfants des personnels soignants. Au début du confinement, elle savait qu'elle prenait des risques : pas de masques, les enfants souvent porteurs sains pouvaient facilement transmettre le virus et elle-même pouvait, sans le savoir, le communiquer à son bébé de dix mois. Son mari, qui travaillait en télé travail s'occupait de leur fils Léo. Combien de temps le coronavirus sévirait, combien de mois serons nous confinés?
Dans sa salle de classe, où les petites tables étaient suffisamment espacées les unes des autres et aussi de son bureau, elle imaginait des cours, des activités assez brèves pour laisser ses élèves profiter des moments de récréation puisqu'il fallait veiller sans cesse qu'ils n'aient pas trop de contact entre eux, afin de ne pas se contaminer. Dans ce type de classe où les enfants n'avaient pas le même âge, ni le même bagage, des cours par niveau étaient nécessaires. En plus, il fallait veiller constamment à ce que les gestes barrières soient respectés. Deux handicapés méritaient en outre sa constante présence auprès d'eux : un garçon sourd et muet qui communiquait surtout par signe, pour que Jean puisse lire sur les lèvres, il fallait bien articuler et veiller à ce que son visage soit bien éclairé. Irène s'était documentée, elle avait appris l'alphabet des signes. Elle ressentait de la compassion pour cet enfant qui vivait depuis sa naissance, enfermé dans son handicap. Elle pensait que seulement depuis un mois, toute la population confinée se plaignait alors que tant d'handicapés devaient vivre en marge des autres, ne pas pouvoir écouter de la musique comme pour Jean ou être prisonnier de leur corps et de leur esprit comme la petite Célia, une enfant autiste. Célia s'échappait, dérobait les stylos les cahiers de ses condisciples, barbouillait ses dessins, parlait fort, criait en plein cours. Irène avait du mal à tout gérer. Mais elle sentait qu'elle était un rouage dans quelque chose de grand, de primordial qui la dépassait : le combat du monde entier contre la mort. Son devoir, n'était-il pas de tout faire pour que la vie continue, que l'épidémie s'arrête.
Avec tous ses collègues, Irène était bien une héroïne du quotidien.


Les travailleurs généreux

"La vraie générosité dans l'avenir consiste à tout donner au présent' Albert Camus

Des professions méprisées ont été mieux considérées pendant le confinement. Par exemple, les éboueurs ont permis que les villes restent propres. Les habitants pour les remercier font plus attention à ce qu'ils jettent dans les poubelles. Les enfants pour rendre hommage à ces hommes courageux leur laissaient des dessins sur le pare-brise.
Ahmed savait qu'il prenait des risques : son équipe et lui n'étaient pas assez protégés. Pas assez de masques, de combinaisons pour éviter d'attraper le coronavirus, un travail pénible et mal payé. Aux premières heures du jour dans le froid du petit matin, il fallait attraper des poubelles pesantes, les vider, courir derrière le camion pour ne pas perdre de temps et éviter les klaxons des livreurs qui eux aussi étaient autorisés à continuer pour ravitailler les magasins d'alimentation. La mort, il ne la craignait pas. Il savait que l'essentiel est de faire son devoir. Il n'avait rien à dire, rien à expliquer, il faisait ce qu'il devait faire, c'est tout.

Les livreurs, les caissières des magasins d'alimentation, eux aussi, étaient embarqués sur le même navire : ils devaient louvoyer en haute mer, tenir le cap pour que la vie continue. Nourrir la population confinée, un objectif qui paraissait simple mais qui comportait des contraintes : le port du masque, le réaménagement des boutiques, la fatigue. Yves pédalait toute la journée pour aller livrer ses clients en produits alimentaires : les commandes par internet avaient explosé mais les gens voulaient aussi que leurs courses soient portées chez eux. Arrivé à l'adresse indiquée, Yves devait monter encore les courses à pied car parfois, soit il n'y avait pas d'ascenseur, soit l'ascenseur était en panne et le technicien confiné aussi n'avait pu venir le réparer. Toujours en veillant aux gestes barrières et en mettant le masque qui souvent l'empêchait de respirer correctement. Au magasin d'alimentation, pas le temps de discuter avec la caissière Delphine, elle-même, débordée car, en plus de son travail habituel, il fallait qu'elle veille aux distances de sécurité, à ce que les clients portent un masque et se désinfectent les mains.
Les journées sans pouvoir faire une pause s'amoncelaient avec la crainte que l'épidémie ne soit pas résorbée.

Le personnel médical et para médical était mis à contribution. Quel effort de trouver chaque jour des survêtements pour remplacer la pénurie de vêtements de protection ! Quelle fatigue de travailler sans compter ses heures jusqu'à épuisement ! Quelle force fallait-il avoir pour soulever les malades, les changer de position, les transporter ? Quelle énergie pour prendre sur soi
le découragement que causait la mort subite d'une personne qu'on croyait sortie d'affaire ! Mais, le courage mène plus loin que la peur, que le doute. Il fallait surtout ne pas s'habituer aux décès des malades, ignorer les statistiques parce que l'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.
Claudine, à la retraite, avait été rappelée pour aider car les hôpitaux manquaient d'effectifs : elle aurait pu refuser car elle était atteinte d'une maladie cardiaque handicapante, mais elle n'y songea pas une seconde. Chaque instant, son travail à l'hôpital serait un défi, une bataille. Elle était prête à aider ses collègues comme ces amis inconnus qu'elle n'abandonnerait pas. Elle avait le devoir de sauver le plus de malades possible.
Elle se réjouissait le soir, quand la journée finie, à vingt heures, elle entendait le concert que ses voisins improvisaient sur leur balcon, pour remercier le corps médical. Les Français qui le pouvaient, faisaient ce vacarme avec des casseroles, des applaudissements, des chants et de véritables instruments de musique. Ce sympathique brouhaha était une récompense pour ces journées épuisantes passées auprès de malades, certains guérissaient, d'autres non. Claudine était contrariée comme si ces malades moribonds appartenaient à sa famille. Parfois, elle se révoltait contre Dieu : "que faisait Il celui là ? Dans le monde entier, Il était prié. On L'invoquait afin qu'Il détourne de Son Bras Puissant ce fléau qui décimait avec une injustice incompréhensible : les vieux et les jeunes, les malades chroniques et les bien portants, les riches et les pauvres, les bons et les méchants ?"
Quand cela finirait-il ? Ne pouvant être des saints et faire des miracles, les hommes et les femmes courageux se sont faits médecins, infirmiers ou infirmières pour prendre le Mal à bras le corps et le vaincre le plus possible. Claudine ne supportait pas de voir la souffrance celle physique des malades en fin de vie qui n'arrivaient plus à respirer, abandonnés à leur destin parce que tout ce qu'on avait pu faire pour eux avait été tenté, celle morale de ceux qui sentaient venir la Mort et de ces familles endeuillées à qui on refusait même d'accompagner leur cher défunt à sa dernière demeure.
Claudine refusait de croire en la Bonté d'un Dieu qui laisse l'humanité en guerre contre une épidémie si cruelle. Les progrès de nos civilisations avancées à quoi servaient-ils ? On allait sur la lune mais on ne trouvait pas un vaccin pour sauver le monde ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Quatrième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

''Ce qui m'intéresse , c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime" Albert Camus La Peste


Après le déconfinement, la reprise de l'épidémie fut encore plus forte : plus de cas, moins de places dans les hôpitaux. Tout allait donc recommencer. Les chiffres journaliers des morts en recrudescence, tout cela inquiétait les habitants de n'importe quelle partie du monde.
Parmi eux, Christelle retrouvait ses angoisses du départ : qu'allait-il lui advenir si elle tombait malade puisqu'elle n'aurait aucune chance d'aller en réanimation ?
Tous les jours qui suivirent, elle allait de plus en plus mal. Elle essayait de se persuader que cela passerait mais une petite voix en elle lui criait sans cesse :
- "Non, c'était plus grave qu'elle voulait le croire. Elle présentait tous les symptômes du coronavirus : cette fièvre qui ne baissait pas, ces maux de tête fréquents, ces courbatures, ces douleurs abdominales continuelles."
Elle se sentait si fatiguée qu'elle ne pouvait plus se lever, se nourrir. Elle s'endormait à tout moment. Elle n'avait plus goût à rien. Elle, qui avait tant lutté contre ses maladies précédentes, mortelles, elles aussi, ne pouvait se vouer qu'à Dieu afin qu'Il l'épargne encore une fois.
Enfin, elle craignait surtout de mourir seule et que son cadavre soit trouvé bien après son trépas. Le téléphone muet lui confirmait l'abandon dans lequel elle se trouvait. Elle n'avait même plus la force d'appeler, si essoufflée, si épuisée que des paroles ne sortiraient même pas de ses lèvres. Un jour, on sonna à sa porte : c'était une infirmière qui devait lui faire une prise de sang. Les autres infirmières qui venaient trois fois par semaine avaient abandonné les cas les moins graves, donc elles ne passaient plus pour vérifier ses constantes. Débordées par le nombre de cas de coronavirus en augmentation, elles travaillaient ailleurs. Devant l'état alarmant de Christelle, l'infirmière Monique appela une ambulance. Masqués, en habit blanc immaculé des pieds à la tête, les ambulanciers impressionnèrent Christelle. Elle aurait voulu rester chez elle, dans son appartement qu'elle aimait. Voir tous les jours la Seine, Notre Dame de Paris, le Pont Neuf, remèdes contre le Mal, la peur de mourir. Elle redoutait la promiscuité avec d'autres malades,
les longues attentes dans les couloirs l'anonymat de sa prise en charge. Quand reviendrait-elle chez elle ? Quand reverrait-elle le quartier qu'elle aimait.
Mais on ne lui demanda pas ce qu'elle voulait. Les ambulanciers s'emparèrent d'elle, la portèrent sur une chaise roulante jusqu'à l'ambulance où elle fut couchée sur un brancard et où on lui administra l'oxygène. Après un parcours cahotant sur des pavés, Christelle comprit qu'elle arrivait à l'hôpital. Pressés de partir, les ambulanciers l'abandonnèrent dans un couloir où d'autres brancards étaient alignés dans l'attente d'être pris en charge. Sous le drap blanc, les malades se ressemblaient tous. Chacun, comme Christelle, avait le cur serré. Plusieurs gémissaient. Juste derrière elle, arrivée après elle, une jeune femme d'une trentaine d'années pleurait doucement. Christelle l'entendit distinctement dire :
"Que vont devenir mes enfants ?"
Une infirmière passa, elle interrogea la jeune malade :
-"Quel âge ont vos enfants ?
- Cinq ans et sept ans !
- Oui, ils sont jeunes et ont besoin de leur mère. Quelqu'un peut-il vous remplacer auprès d'eux ?
La jeune femme secoua négativement la tête
- Quel est votre prénom ?
- Aurore !"
" C'est un beau prénom porteur d'espoir. Elle devrait vivre ne serait ce que pour s'occuper de ses enfants" pensa Christelle et elle fit une courte prière pour cette Aurore inconnue. Elle imagina sa vie, divorcée peut-être ou abandonnée par son ex-mari, Aurore méritait de vivre. Seule, elle s'était battue pour garder ses enfants auprès d'elle.
Mais, l'infirmière revint, un peu gênée :
'Nous n'avons plus de lit, il faut attendre"
Aurore appela une voisine pour qu'elle aille chercher ses enfants Bernard et Lise à l'école. Mais parler l'exténua.
Christelle songea que personne ne l'attendait, elle. Morte, elle ne manquerait à personne.
L'infirmière revint.
"Un lit vient de se libérer. La première arrivée est madame" dit-elle en se tournant vers Christelle.
Ce fut comme une impulsion. Alors qu'on ne le lui demandait pas, Christelle offrit d'elle même le seul lit de libre. Elle céda sa place, puisqu'elle était arrivée la première Elle, qui avait si peur de mort, pensa en un instant que si la mort devait toucher une des deux, ce serait plus juste si c'était elle qui parte dans le pays des étoiles. Elle avait vécu tant d'années de plus qu'Aurore !
Elle avait fréquenté tant de musées, vu tant d'expositions, écouté tant de concerts, admiré tant d'opéras, visité tant de villes. Maintenant, tout ce qu'elle possédait, la Mort ne pourrait le lui prendre, tout à fait. Elle survivrait dans un autre monde plus juste, plus généreux, plus libre.
Elle croyait fermement en Dieu. Elle adressa une prière à Jésus :
"Si je traverse les ravins de la Mort, Tu es mon guide et Tu me rassures". La prière est la sur tremblante de l'amour et une arme contre la Mort. Comme Sur Marie des Anges le lui avait conseillé, Christelle se confia à Dieu et se mit dans Sa main puissante. Toute peur l'avait quittée.
Elle attendit patiemment quun infirmier la conduise dans une autre pièce, tragiquement anonyme, épouvantablement triste : une sorte d'antichambre de la mort. Elle n'était qu'une patiente qui devait se soumettre aux dictats des professeurs, des médecins.
Le docteur Michèle Xavier fut annoncée. D'emblée Christelle se sentit mieux, un peu rassurée.
- " Vous allez être mise sous oxygène sans arrêt. Il faudra être patiente, on fera tout notre possible pour vous tirer d'affaire.
- La réanimation ? balbutia Christelle.
Michèle éluda la question
- Pour l'instant, on vous soignera sans et c'est plutôt bon signe!". Le docteur sortit.

 


Chapitre 2

"La mort est toujours la même et chacun pourtant meurt de sa propre mort" Carson Mac Cullers L'Horloge sans aiguilles




Mais, Christelle était de plus en plus essoufflée : un bruit de forge qui lui semblait venir d'une autre personne, comme si son corps et son âme se séparaient pour toujours.
Et quand son souffle devint plus haletant, elle sut qu'elle allait rejoindre ceux qu'elle avait aimés : sa famille, bien sûr, mais aussi ses amis d'autres siècles : artiste (compositeurs, écrivains, musiciens, peintres...) qui lui avaient donné le goût de la vie et qui l'avaient sauvé de la mort.
Le docteur Michèle Xavier entra. Habillée tout en blanc, comme un cosmonaute, de la tête aux pieds. A l'aide de son stéthoscope, elle écouta avec attention le cur et les poumons de la malade. Christelle reconnut le médecin qui l'avait accueillie dans cet hôpital : auparavant, elle l'avait déjà vue au centre anti cancéreux mais aussi dans les manifestations en faveur des femmes battues. Mais elle ne put parler : elle était trop faible. Michèle l'encourageait d'une voix chaleureuse : elle allait guérir : on s'occuperait bien d'elle.
Même épuisée, Christelle eut la force de sourire. Elle savait que le docteur Michèle Xavier mentait mais elle ne voulait pas lui faire de la peine Son corps, comme un sphinx, lui envoyait assez de messages sur son état très sérieux, et Christelle savait les déchiffrer. Elle regrettait uniquement de ne pas avoir tout tenté pour aider les femmes battues et les cancéreuses. Certes, elle laisserait ses blogs et sa fondation mais qui continuerait après elle ? Peut-être, Michèle ou d'autres féministes !
Christelle, fatiguée, songeait qu'elle ne reverrait plus la rosace Nord de Notre Dame de Paris. Longtemps, elle avait eu l'espoir de pouvoir y revenir, après l'incendie, mais c'était trop tard pour elle. Elle n'avait que le souvenir pour se consoler. Le miroitement dans le soleil des verres bleus comme un kaléidoscope avec les cercles de rois, de prophètes de l'Ancien Testament et au centre la Vierge à l'enfant, préfigurant le Nouveau Testament. Les couleurs froides symbolisent le Nord, l'Ancien Testament s'opposaient aux couleurs chaudes, à toutes les nuances de rouge de la rosace Sud qui lui faisait face et qui, elle, représentait le Nouveau Testament avec au centre
le Christ.
Tout était sens dans cette cathédrale, tout était mystère, découverte, étonnement.
Après avoir franchi le seuil, on longeait une travée obscure éclairée par la flamme tremblante des cierges. Puis tout d'un coup, au transept, la lumière comme une révélation divine, donnée par les rosaces, miracle d'harmonie, les plus grandes et les plus anciennes. Elle ne reverrait pas les grands tableaux offerts par les corps de métier au mois de mai, ni même ces signes sur les piliers : les marques laissées par les compagnons pour se faire payer selon l'ouvrage accompli.
Mais tout continuerait après elle. Elle n'aurait été qu'un chaînon dans l'humanité.
Tout était dans l'ordre. Il lui sembla quitter son corps qui restait sur le lit blanc et elle suivit un long couloir sombre jusqu'à déboucher dans la lumière : un soleil qui n'était pas de la terre mais réchauffait doucement.
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Chapitre 3

"Une uvre est un cri dans le désert" François Mauriac


Michèle, appelée par les infirmières, survint. Elle constata la mort de Christelle. Ses paumes détendues a persuadèrent que Christelle n'avait pas souffert. Mais le médecin n'acceptait pas la mort de sa patiente. Ce décès lui semblait profondément injuste. Elle aurait tant voulu la sauver : avec quelques jours de plus, peut-être cela aurait été possible. Christelle n'aurait pas dû mourir : son sacrifice aurait dû être récompensé. Mentalement, Michèle interrogea Dieu ou le Destin, elle ne savait pas très bien quelle était cette puissance au-dessus d'elle qui contrait tous ses efforts et punissait les bonnes personnes. Elle en était sûre, il y a dans les hommes et les femmes plus de raisons de les admirer que de les mépriser. Christelle méritait vraiment de vivre, celle qui avait donné ses chances de survie à une amie inconnue. Celle qui avait tant peur de la mort, avait préféré donner sa vie.
Le Père Dominique arriva pour bénir le corps. Il pria mais il ne redoutait pas la mort pour elle, il savait que son acte comme ses efforts en faveur des femmes battues et des cancéreuses en difficulté seraient récompensés.
Il cita une parole du Christ lui-même : " Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis". Christelle avait donc montré avec éclat qu'elle avait cette foi qui croit en la vertu de l'amour car "la mesure de l'amour est d'aimer sans mesure", comme l'écrivait Saint Augustin. Le Père Dominique s'adressa au docteur Michèle :
"Ne pensez vous pas que même si le corps de Christelle nous a quittés, l'âme de Christelle est toujours là ? Elle a rejoint Dieu mais elle vous laisse le souvenir. Elle vous a montré par son geste d'amour pour la jeune malade qu'on peut vaincre la peur de la mort et même la mort elle-même".
Sur Marie des Anges survint : elle priait aussi. Elle remercia le docteur Michèle de ses bons soins, et elle lui expliqua que le souvenir permet aussi de vaincre la Mort.
"Christelle n'est plus avec nous, mais dans le souvenir de ses amies, elle est maintenant partout. Son esprit nous guide et ainsi elle veille sur nous du haut du ciel".
Michèle, avec sa raison, son bagage scientifique, se sentait, toutefois, interpellée par cette mort : ce sacrifice. Il lui sembla qu'elle était investie d'une mission ; raconter cet acte insensé : donner sa vie pour une femme inconnue. Le docteur Michèle parlerait à Aurore de Christelle car la jeune mère de famille lui devait la vie. Le docteur Michèle ferait un article dans une revue médicale. Tant pis si personne ne la prenait au sérieux. Son rôle était de témoigner. Elle avait aimé et apprécié Christelle même si elle n'avait pas pu la sauver du coronavirus, elle devait contribuer à ce que ses amis perpétuent sa mémoire. Nos défunts ne sont pas sous la froide pierre d'une tombe mais dans nos pensées. Sans le vouloir souvent, nous les assimilons à des moments les plus tenus, les plus improbables de notre vie, ils revivent pour nous par des expressions, des paroles qui nous reviennent inconsciemment à l'esprit. Par notre amour, nous les rendons immortels.
Vaincre la mort d'un être aimé par l'amour de ses amis, l'amour filial ou maternel ou conjugal n'est ce pas un beau programme ? L'épidémie a fait naître de belles actions comme autant de fleurs superbes dans un jardin magnifique mais les sentiments qui ont été à l'origine de tous ces actes sont à admirer, en premier.
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Chapitre 4

" C'est la nuit qu'il est beau de croire en la lumière" Edmond Rostand Chanteclerc


Michèle tenait à témoigner : elle avait le devoir de dénoncer ce qui n'allait pas dans notre société. L'argent, le désir de puissance, l'égoïsme avaient sévi avant, mais aussi pendant l'épidémie. Une leçon devait être tirée du coronavirus, du confinement. Une injustice entre les classes sociales, l'âge des personnes, l'état de santé des différentes générations avaient paru évidente. Elle avait souvent fait observer à ses collègues que le covid 19 persiste et s'en prend à ceux qui respectent les gestes barrières et que parfois et même souvent il ignore ceux qui ne respectent pas le port du masque et la distanciation. Elle tenait à l'écrire dans ses articles.
De l'apparente injustice, une vérité avait éclaté. Le coronavirus a servi à montrer que l'homme en règle générale est bon, solidaire, fraternel. Dans des circonstances exceptionnelles, tragiques, la priorité a été donnée à la vie. Les problèmes annexes ont été évacués. Ainsi, des associations comme la croix rouge, la conférence Saint Vincent de Paul, les petits frères des pauvres entre autres, ont maintenu un lien amical avec les personnes seules ou malades. Des livraisons de nourriture ont été faites.
Vaincre la mort avec le courage, l'abnégation, la générosité s'est vérifié tant de fois et en particulier dans les équipes médicales. Des dons nombreux ont été rassemblés : de l'argent, des produits de première nécessité, etc., ont permis que la lutte contre la mort se poursuive. Il n'est pas vrai que la mort vainc toujours comme l'écrivait Schopenhauer.
Michèle, pour se détendre après tant de réflexions philosophiques sur le Bien, le Mal, la Mort, regarda le ciel au-dessus d'elle. Entre les nuages blancs et gris, une écharpe rose s'étirait mollement. Michèle y vit une promesse de renouveau. Bientôt, ils le trouveraient ce vaccin, tous ces chercheurs de tous les pays, qui y travaillaient de toute leur force, s'unissant par delà les frontières dans une démarche absolument gratuite pour toute l'humanité. Non, les civilisations ne sont pas mortelles, elles peuvent se perfectionner. Michèle voyait devant elle un horizon aux formes superbes, elle l'écrivit dans son premier article, elle croyait que dans un proche avenir, la mort pourrait être vaincue.

 

 

 

 

 

 

Table des matières

Première partie.....................................................................................................p.5
Chapitre1 p.7
Chapitre p.11
Chapitre 3 p.17
Chapitre 4 p.21
Deuxième partie...............................................................................................p.25
Chapitre 1 p.27
Chapitre 2 p.31
Chapitre 3 p.33
Chapitre 4 p.37
Troisième partie....................................................................................................p.41
Chapitre 1 p.43
Chapitre 2 p.47
Chapitre 3 p.51
Chapitre 4 p.55
Dernière partie.....................................................................................................p.59
Chapitre 1 p.61
Chapitre 2 p.63
Chapitre 3 p.65
Chapitre 4 p.67
Table des matières................................................................................................p.68

 

 

 

 

 

 

 

VAINCRE LA MORT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Agnès Victor

 

VAINCRE LA MORT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

"L'homme est une prison où l'âme reste libre" Boris Vian

Dans un Paris où peu de parisiens, finalement, avaient le temps ou l'opportunité de visiter musées et expositions, d'aller au théâtre ou à l'opéra, Paris semblait une capitale où il ne faisait pas bon vivre. Les parisiens et les provinciaux se plaignaient sans cesse : les bouchons aux heures de pointe, la pollution, les manifestations périodiques, le bruit. Dans cette course effrénée à l'argent et au pouvoir, les parisiens, bien souvent n'avaient pas le temps de lier conversation. Dans les immeubles, les voisins ne se parlaient pas, ne se fréquentaient pas. Dans les bars ou les restaurants, on restait en petit groupe. L'égoïsme régnait en maître. Ainsi, des fumeurs invétérés fumaient même dans les arrêts de bus, les jardins publics. Les non fumeurs gênés par la fumée passaient pour opposants à la liberté individuelle, s'ils osaient leur demander de fumer plus loin. Plus, de grossiers personnages vous envoyaient en plein visage leur fumée et jetaient leurs mégots partout sur les trottoirs. Chacun pour soi était le mot d'ordre. Les dangers du tabac et du tabagisme passif étaient particulièrement évoqués dans des campagnes contre le cancer du poumon mais avec impertinence et insolence, les gros fumeurs proclamaient qu'eux n'avaient été jamais malades.
Le fossé entre générations se creusait de plus en plus. Les seniors reprochaient aux jeunes, surtout, de ne presque jamais céder leur place, pire d'occuper les sièges réservés aux handicapés ou personnes âgées. Les jeunes, quant à eux, rétorquaient qu'ils leur payaient leur retraite ! Dans les arrondissements du centre de Paris, un même clivage s'observait avec les arrondissements de la périphérie. Les lieux touristiques étaient un peu mieux nettoyés.
Tout d'un coup, la routine quotidienne fut bouleversée. Les informations nous apprirent que dans une ville chinoise, un mal sournois décimait la population. "Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés" Les Animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine. Mais, c'est bien loin la Chine de l'Europe et nous nous imaginions épargnés par ce nouveau virus ! Quelques cas furent signalés en Europe. En France, il s'agissait surtout de personnes revenues de Chine ou ayant été en contact avec un voyageur ayant séjourné en Chine. Mais, où on s'inquièta, c'est quand un homme de soixante ans, n'ayant jamais eu de contact avec un chinois parti en Chine, mourut. Soixante ans, c'était bien jeune, la mortalité concernait plutôt les gens aux alentours de quatre-vingt ans et souvent, en plus, déjà en mauvaise santé.
Une guerre invisible avait lieu. L'ennemi ne se manifestait pas à visage découvert. Il pouvait être derrière chacun et chacun l'ignorait. Depuis des jours, des semaines, c'était la même douleur qui continuait. La mort des autres devenait petit à petit la mort de tous. Chaque jour, aux actualités, tous ces chiffres, cette énumération du nombre toujours croissant des morts devenaient un cauchemar. Quand cela s'arrêteraient-ils ? Pourtant il fallait bien continuer à vivre, plutôt à survivre, sans qu'on sache bien pourquoi. Apparemment, elle avait commencé en Chine. Des hommes lubriques pour doper leur appétit sexuel achetaient sur les marchés des animaux bizarres (pangolin) enfermés dans des cages, qu'ils tuaient pour leurs écailles. Leur pharmacopée ancestrale, ainsi, utilisait de pauvres bêtes innocentes. Les pangolins mangeaient des chauves-souris, peut être à l'origine du coronavirus. De l'animal, le virus s'était transmis à l'homme, avait muté, était très virulent, chaque porteur de virus pouvant donner le virus à plusieurs personnes.
Alors des recommandations relayées par toutes les chaînes de télévision furent répétées, jusqu'à écoeurer, des gestes barrières des panneaux publicitaires dans la rue. La pression monta encore sur tous les citoyens
Le gouvernement dans une conférence et une allocation télévisée parla de guerre et décida sous couvert des experts scientifiques de confinement. Oui, c'était bien une guerre qu'il s'agissait de mener, mais une guerre insidieuse. L'ennemi n'était pas repérable, il pouvait être partout : n'importe quel habitant du sol national pouvait transporter le virus même sans le savoir et contaminer trois ou quatre autres et ainsi de suite. Les gens craignaient leurs proches, leurs voisins. Des regards suspicieux s'échangèrent.
Comme dans beaucoup de pays, le confinement fut décidé. Plus de bars, plus de cafés, plus de restaurants, plus de théâtres, plus de cinémas, plus de musées etc. : tout est fermé à part les pharmacies, les magasins d'alimentation, les bureaux de poste et pas tous. Dans ce choix d'ouvrir ou de fermer les boutiques les décisions furent très remises en question. Si les écoles, les collèges, les lycées, et les facultés étaient fermées, pourquoi maintenir les bureaux de vote ? Les bureaux de tabac pouvaient encore vendre des cigarettes particulièrement nocives pour la maladie virale mais aussi et cela avait été démontré depuis longtemps pour les cancers, qui à cause du tabagisme passif, étaient favorisés par cet usage immodéré du tabac.
Mais l'administration n'en était pas à son premier paradoxe. A l'heure, où les médias sont présents partout, où des sondages d'opinion, même, en ligne sont proposés tous les jours, montaient peu à peu le désarroi, l'incompréhension des citoyens. Pris pour des enfants, ils comprenaient très bien qu'au départ, on leur avait menti : d'abord, dans un désir de ne pas effrayer l'opinion publique mais aussi par une incompétence à comprendre la gravité de la maladie qui s'étendait de la Chine à l'Orient puis à l'Europe jusqu'en Amérique. Les responsables étaient des dirigeants chinois qui avaient préféré minimiser la gravité du problème, plutôt que de dire la vérité à tous, au risque de noircir leur image sur le plan international. Quand la politique méprise la vie humaine, c'est tragique. Fiers de leurs capacités sanitaires, les instances européennes avaient sous estimé la possibilité d'une pandémie. Commander trop peu de masques malgré les conseils d'une ministre de la santé d'un gouvernement précédent révéla une incurie.
Quand une administration nouvelle est mise en place les décisions prises par la précédente sont mises en cause. Le bien public importe moins que le désir de critiquer ses prédécesseurs. Le virus a partout révélé que l'orgueil des gouvernements et même de certains scientifiques l'emportait sur le désir d'aider, de sauver son semblable. La méfiance était générale. Un calme profond, une attente épouvantée des décisions gouvernementales.
Dans les rues, la vie semblait arrêtée. Les boutiques étaient closes. Après les avoir empilées, les patrons ou leurs employés avaient rentré les chaises, ils avaient aussi baissé les stores et, tout d'un coup, il semblait qu'on attendait tous une catastrophe. Des autorisations pour des courses urgentes, indispensables avaient été données. Ainsi, parfois, une silhouette marchait vite en direction d'un commerce d'alimentation. Les habitants des villes ou des campagnes, au début, s'étaient précipité pour acheter des denrées alimentaires. Ils stockaient des provisions, comme si une grande période de pénurie allait survenir.
Pendant deux mois, les nationaux furent donc confinés. Pratique qui remonte au Moyen Âge : en cas d'épidémie, les gens sont isolés. Mais pour un monde dont plusieurs nations sont capables d'envoyer des fusées sur la lune, ce procédé paraissait dépassé à beaucoup. Pour masquer des erreurs d'appréciation du départ et des fautes dans l'approvisionnement des masques, des tests, le gouvernement avait menti et était obligé de demander aux citoyens très fermement de rester chez eux.
Les libertés les plus élémentaires comme celles d'aller et de venir étaient suspendues. Du jour au lendemain, sortir de chez soi sans autorisation était passible d'une amende de 135 euros. Parce que les gens confinés regrettaient d'être privé de liberté, ils développèrent des capacités à trouver un espace en dedans d'eux mêmes pour retrouver leur liberté.
Ainsi, l'âme restait libre et pouvait défier dans un certain sens la privation de liberté. La peur de la mort des citoyens avait été instrumentée. Sans doute au départ, dans un but légitime d'épargner la population du virus. Mais aussi pour que le peuple se soumette aux directives et abandonnent les revendications antérieures : l'emploi, les transports, la retraite qui avaient fait l'objet de manifestations, de grèves. Tout l'art de la politique était de se servir des conjonctures. Mais parfois la soumission aux impératifs du bien commun à ses dangers.
"Un peuple de moutons finit par engendrer un peuple de loups " comme l'écrivait Agatha Christie.
Comment vaincre la Mort ?
Plusieurs personnes différentes mais confrontées à la même situation peuvent fournir des réponses divergentes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

"La passion est encore ce qui aide le plus à vivre" Émile Zola

Christelle, un peu plus de soixante ans, était à la retraite pour raisons de santé. Ridée, vieillie, elle avait perdu beaucoup de cheveux à cause des chimiothérapies. Quand elle croisait son visage dans une glace, elle ne se reconnaissait pas. Il lui semblait qu'on lui imposait injustement un masque et que derrière se trouvait son vrai visage. Car elle était toujours la même depuis les années de sa jeunesse, son âme n'avait pas changé. Elle était née dans le Midi de parents ouvriers. Ses grands-parents, ses parents étaient décédés depuis longtemps. Sans frère et soeur, sans enfant, elle vivait seule à Paris après un divorce houleux obtenu aux torts exclusifs de son mari pour violences conjugales.
Après la mort sociale que causent les cancers (perte du travail, mise à la retraite pour invalidité) vient la dure solitude qui vous coupe de vos semblables. Elle avait cherché vainement dans cette forêt de visages que constitue la foule des Parisiens, une voix amie ou un geste de sympathie, mais dans ce désert peuplé, elle restait seule. Elle avait très peu d'amies, des collègues, surtout.
Depuis des années, elle était libre et indépendante dans son appartement, face à la Seine, tout près de Notre Dame, du Louvre, du Musée d'Orsay. Parce qu'elle aimait Paris, elle n'avait pas prêté beaucoup d'attentions aux premiers cas de coronavirus. Elle croyait de tout coeur à la formule de Sacha Guitry "Être parisien ce n'est pas être né à Paris, c'est y renaître." Paris l'ensorcelait depuis des années. Paris lui avait tant appris. C'est en assistant à des concerts, des ballets, des opéras, qu'elle s'était passionnée pour la musique classique. Dans ces salles remplies de magie, elle attendait le début d'un concert. Le silence lui révélait la communion de tous les auditeurs de la salle, prêts à se laisser charmer. Puis, vient la minute si précieuse où le chef d'orchestre donne le signal à tous les instruments, et doucement la musique s'élève. Le bonheur d'écouter commençait. Elle avait la faculté de se laisser porter par cette mer de notes. Ainsi dans les oeuvres de tous ces musiciens qu'elle aimait (Chopin, Vivaldi, Mozart, surtout, et tant d'autres) elle retrouvait des souvenirs du passé. A chaque note de musique comme un caillou jeté sur un lac forme des ricochets, des évocations de paysages, de sensations surgissaient. Au Louvre, elle aimait revoir sans cesse des tableaux de Raphaël, de Léonard de Vinci, en priorité. Devant La Vierge aux rochers de Léonard de Vinci, elle s'interrogeait sur le signe énigmatique de l'ange. Elle se sentait toujours interpellée par les tableaux qu'elle aimait : la contemplation de La Belle Jardinière de Raphaël lui donnait une plénitude. L'art de la composition, la beauté du dessin, le choix du sujet rivalisaient pour donner une perfection absolue à une oeuvre de commande. Sur la piste de l'Art, elle partait à la chasse au bonheur.
En fait, à Paris, la culture est à portée de tous et chacun peut profiter des expositions, des manifestations artistiques. Christelle, normalement, visitait le plus possible les musées. Comme pour un rendez-vous amoureux, elle retrouvait dans telle ou telle salle, la toile qu'elle appréciait tant.
Les monuments, la Seine, tout l'enthousiasmait tel un livre d'histoire incomparable. Lorsqu'elle avait appris son dernier cancer, le seul moment où elle avait eu envie de pleurer, où ses paupières se sont mouillées, c'est en traversant la Seine sur le Pont des Arts. Son regard s'était porté d'instinct là-bas, sur les deux tours de Notre Dame. Dire qu'elle ne pourrait plus rentrer dans cette cathédrale, proue sur l'Île de la Cité. Notre Dame avait été blessée, incendiée mais comme un large vaisseau, elle portait l'humanité. Ne plus voir la rosace Nord de Notre Dame de Paris lui manquait terriblement. Mais il y avait encore la possibilité, à bord des bateaux-mouches de remonter la Seine et de parcourir tant de siècles, tant d'art.
Aussi supporta-t-elle difficilement la fermeture des lieux de culture : théâtres, opéras, bibliothèques, cinémas, musées ! Bien sûr des programmes télévisés proposaient des rediffusions d'opéras, de concerts et de ballets mais rien ne remplaçait l'émotion commune dans une salle de théâtre, dans un opéra... La comédie française continuait à diffuser des vidéos de spectacles.
Pendant le confinement elle se couchait et se levait tard : elle aimait, d'une part, profiter de la fraîcheur du soir et ouvrir les fenêtres dans la nuit : de rares fêtards, parfois, mais en règle générale personne sur les quais donc Paris était à elle et les lumières des lampadaires éclairaient les bâtiments majestueux de la ville endormie. D'autre part, se coucher très tard lui permettait de tomber de fatigue comme une masse. Ainsi, le mal qu'elle avait à s'endormir, habituellement serait évité. Elle redoutait l'angoisse qui la prenait au petit matin blême sur la mort qui rodait dans Paris, frappant les gens du troisième âge, surtout. Même pour faire les courses, elle n'avait plus envie de sortir. Elle savait que si elle rencontrait un fumeur, elle se mettrait en colère. Elle leur en voulait depuis qu'elle avait ce cancer du poumon qu'elle estimait particulièrement injuste, elle qui n'avait jamais fumé. Dix pour cent au moins des cas de cancers du poumon arrivaient à des malades qui n'avaient jamais fumé. Des fumeurs ne se gênaient pas en fumant dans des lieux interdits comme dans le métro, les jardins publics, les abris de bus et même vous envoyaient une bouffée de fumée dans la figure si vous vous plaigniez.
Elle aurait cru que la peur du coronavirus amènerait les fumeurs invétérés à délaisser, enfin leur cigarette mais non. Cela avait continué même si les scientifiques avaient prouvé que les fumeurs étaient plus sujets que les autres à l'épidémie. En outre, leur guérison était plus problématique vu le mauvais état de leurs poumons !
Pendant le confinement, Christelle pestait contre les édiles qui laissaient les bureaux de tabac ouverts comme s’ils encourageant certains de leurs concitoyens à se détruire plus vite et avec eux, leur entourage. Dans le lieu clos de chaque maison ou appartement d'un fumeur, les enfants, le compagnon ou la conjointe étaient contaminés et aussi les citadins qui avaient à supporter en plus de l'inévitable pollution, la fumée de certains de leurs concitoyens qui fumaient dans des lieux qui leur étaient interdit et sur les terrasses se plaisaient envoyer des bouffées de fumée aux passants.
Christelle se plaignait des fumeurs dans l'abri de bus :
- " Ils ne peuvent pas fumer plus loin. J'ai besoin de m'asseoir"
Et elle s'attira les foudres d'une bourgeoise bien vêtue, l'air hautain :
-" Il faut être tolérante
- La liberté s'arrête où commence celle des autres !"
Non, il n'y avait pas moyen de discuter. A croire que l'interlocutrice donneuse de leçons se sentait visée car fumeuse, elle-même.
Quand, Christelle se sentait rejetée comme cela, elle se trouvait encore plus vieille avec ses rides de plus en plus nombreuses, de plus en plus laide avec son nez qui au milieu du visage affichait avec indécence sa couleur un peu rouge, dénotant d'ailleurs de sa peau terne. Ses cheveux lui semblaient encore plus gris et encore plus rares. Elle tourna ostensiblement le dos et alla s'asseoir au bord du trottoir. Personne ne l'aida à se relever et lui proposa sa place sur le banc.
En plus, comme elle était essoufflée elle s'attirait des regards venimeux.
On la suspectait d'être malade, et de transmettre aux autres, l'épidémie. Plusieurs fois, elle avait été obligée d'expliquer :
- "Non, je n'ai pas le coronavirus virus, j'ai juste un cancer du poumon inopérable et une insuffisance respiratoire."
C'était paradoxal, il fallait se justifier en arguant avoir une maladie mortelle mais moins grave pour les autres parce qu'elle ne se transmettait pas.

Christelle était pourtant sereine, elle avait résisté aux cancers, cette épidémie inconnue allait sûrement passer comme elle était venue ! Chaque année, la grippe décime dans l'indifférence générale des milliers de personnes et les médias nen font pas état. Pourtant la grippe se transmet comme ce nouveau virus au nom bizarre : coronavirus. Les photos agrandies de ce virus montraient un cercle constellé de points lumineux comme une couronne de pierreries. Et pourtant derrière cette beauté apparente, il était terriblement meurtrier du côté de la Chine, à des milliers de kilomètres.
Christelle espérait que le virus resterait en Orient.
Mais tout changea, soudainement. Apprendre qu'un homme de soixante ans était mort alors qu'il n'avait aucun lien avec la Chine, l'inquièta, tout d'abord. Ensuite, savoir qu'en Italie, une cancéreuse avait eu le virus et en était morte, la perturba. La nature humaine nous amène à nous intéresser qu'aux cas proches des nôtres.
Avant le confinement, alors que les hôpitaux n'étaient pas encore surchargés, Christelle se rendit à sa consultation de suivi pour sa pathologie du cancer. Lors d'un entretien avec un docteur du centre anticancéreux, celui-ci lui demanda :
- "Vous avez réfléchi à ce que vous souhaitez si vous devez aller en réanimation !
- Bien sûr, je souhaite qu'on fasse tout pour m'aider à survivre. Je préfère être sourde, aveugle, paralysée qu'être morte.
- Oui, mais avec vos antécédents médicaux, le médecin de réanimation choisira de ne pas vous réanimer. C'est lui qui décidera ; avec votre poumon, votre coeur et votre rein malade, ce ne sera pas la peine !"
Christelle se mit en colère. Elle défendit sa vie pied à pied, arguant qu'elle n'était pas inutile : elle militait pour la cause des femmes battues et des cancéreuses en difficulté. Elle avait montré à six reprises qu'elle résistait bien aux traitements.
Mais il n'y aurait pas de place, insinuait le médecin. En Italie, les docteurs avaient été confrontés au douloureux dilemme : choisir entre deux malades pour une seule place en réanimation.
Elle repartit, en claquant la porte. Pas de place, pas de place ! Elle avait donné beaucoup de son temps, de son argent et elle n'aurait pas de place ! Certes, elle pensait aux autres, au plus jeunes mais cela n'atténuait pas sa grande douleur, sa peur atroce de mourir. Elle se souvenait d'un enregistrement qu'elle avait écouté bien des fois.
"Ne me laissez pas descendre un jour trop tôt parmi les morts (....) tout m'est égal sauf la vie ! " disait Gérard Philipe, jouant le Prince de Hambourg de Kleist et comme il criait cela avec telle crainte de cette mort imposée injustement. Finalement elle était arrivée à la conclusion que tout était préférable à la mort. Aussi, elle accepta très bien le confinement.


Christelle essaya d'oublier cette conversation. Mais elle ne le put. L'angoisse la réveillait la nuit, son coeur battait très fort, sa respiration haletait. Le réveil était douloureux entre réalité et songe. Elle se croyait encore avec ses parents et ses grands-parents quand elle ouvrait les yeux. Rapidement, elle se remémorait la triste réalité : ils étaient tous décédés. Elle était seule, seule. Les murs l'enserraient comme pour l'écraser. Elle était enfermée dans son appartement. Pendant la journée, elle avait beau s'occuper, les paroles du docteur revenaient brutalement à sa mémoire. Qui pourrait l'aider ? Alors elle se souvint de son enfance, de son adolescence : comme tout était simple, alors. Quand elle avait quelque chose à demander : une guérison, un succès à un examen, elle s'agenouillait et joignait les mains pour prier. Elle récitait les prières apprises au catéchisme mais aussi entendues chaque fois qu'elle assistait à une messe en compagnie de ses parents ou quand elle écoutait la prière en commun de toute la famille. Certes, la prière était liée à la peur de la mort. La mort de ceux que Christelle aimait mais aussi la sienne : qu'allait-il advenir dans cet au-delà qui l'inquiétait ? Pour elle, sa vie avait déjà été une lutte éternelle contre la mort puisque le cancer l'avait atteinte six fois et sa famille avait été décimée par cette longue maladie ou par des problèmes cardiaques. Oui, malheureusement la mort finissait toujours par vaincre. Elle avait beau savoir que la vie éternelle était promise par le Christ après le trépas, trop de doutes l'environnaient de leur voile noir. Elle avait besoin d'en parler. Elle avait besoin d'écouter une parole de réconfort.
Elle se rendit à l'église la plus proche. Longtemps, elle était rentrée dans les édifices religieux pour y admirer les oeuvres d'art : vitraux, statues, tableaux. Jeune, elle était très croyante. Mais les désillusions, la mort des gens qu'elle aimait, l'avaient peu à peu éloignée de la religion. Elle recherchait, maintenant, la consolation. Déjà le silence, la pénombre apaisaient les coeurs blessés.
Dans les chapelles sombres, des cierges brûlaient doucement. Les flammes vacillantes manifestaient bien la fragilité de toute existence. Les colonnes qui soutenaient le transept montaient en un élan vers le Ciel. Christelle admira une fois de plus le palmier formé par le pilier central. Tout n'était qu'harmonie avec les vitraux anciens dont les visages des saints effacés trahissaient le passage inexorable du temps.
Pourtant combien étaient-ils plus beaux ces vieux vitraux aux dessins purs et expressifs, aux couleurs douces que les vitraux du dix-neuvième siècle qui proposaient une image stéréotypée des saints et saintes figés avec leur attribut, leur attitude pour l'éternité.
Sur les dalles de pierre, le bruit des pas résonnait doucement. Les statues vieilles et un peu défraîchies paraissaient bien plus naturelles que celles plus tardives. Christelle se mit près d'une porte en ogive qui donnait accès à la sacristie. Elle n'attendait personne mais elle laissait le destin agir. Assise, les mains jointes, elle ne priait pas mais contemplait cette petite église un peu délabrée mais où s'exprimaient des siècles de foi : celle des compagnons bâtisseurs, puis celle des architectes qui avaient cherché à conserver le monument tel qu'il était à l'origine. Dans ce quartier animé, ce havre de paix accueillait les découragés, les désespérés, les exclus.

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Chapitre 3

" Que servirait à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme" Saint Augustin

C'est à ce moment qu'elle rencontra le Père Dominique.
Grand et mince, le visage avenant, il lui inspira immédiatement confiance. Christelle était habituée à prier dans les églises. Elle aimait le silence et contemplait les oeuvres d'art, les vitraux de chaque église, magnifique expression de la foi en Dieu. Admirer les tableaux, les statues, l'architecture à la louange du créateur était déjà une prière. Depuis le confinement, elle ne pouvait plus se rendre aux messes mais elle gardait en mémoire les paroles bienveillantes du prêtre. Il lui avait fait comprendre qu'il fallait en tout se remettre à Dieu. Il choisissait pour les hommes mais Il leur laissait leur libre arbitre. Justement, elle avait rétorqué : "Alors, les docteurs doivent mettre tout en uvre pour que Dieu puisse décider au final". Mais les explications du prêtre ne l'avaient pas convaincue. Le prêtre parla de la Passion selon saint Mathieu de Jean Sébastien Bach. La musique est bien le bruit de l'âme. L'amour de Dieu qu'éprouvait le prêtre, sa foi dans le Christ le conduisait à considérer l'Art comme une louange.
Christelle interrogea le prêtre. Elle voulait savoir si le Père Dominique avait douté parfois de sa foi et avait eu du mal à continuer son sacerdoce.
- "Comment faire pour échapper aux tentations de la chair ? Avez-vous été amoureux ?
- Oui, Lorsque j'étais au séminaire, j'ai failli abandonner. J'avais rencontré une jeune fille à l'occasion d'un camp de vacances que des jeunes séminaristes devaient animer. Claire était très belle mais aussi très généreuse, enjouée, affectueuse. J'essayai de surmonter mon trouble mais je ne pouvais nier que je la voyais avec plaisir. Je n'avais pas prononcé mes vux. J'étais encore libre de choisir le mariage, la vie de père de famille. C'était un peu la tradition que le cadet de notre famille devienne prêtre. Mes parents ne m'y avaient pas obligé mais ils m'avaient pourtant incité à entrer au séminaire.
- Et, alors ?
- J'ai ouvert le Nouveau Testament au hasard et je suis tombé sur le passage où Jésus demande à ses disciples de tout quitter pour le suivre : parents, femme, amis (....) et j'ai compris que Dieu me parlait, me donnait le courage de choisir une vie de célibataire, sans enfant, sans compagne.
- Mais, c'est un lourd sacrifice !
- Pas tant que cela. Le Seigneur me donne la force d'accomplir mon ministère avec joie. Certes je n'ai pas d'enfants mais tous les enfants sont un peu les miens. Je les baptise, je leur apprends le catéchisme, je les aide à préparer la première communion la communion solennelle, la confirmation.
- Les enfants vous oublieront !
- Non, parce que je les aurai aidé à rencontrer Dieu pour la première fois. Ce qui est important, ce n'est pas moi, c'est celui qui a dit "laissez venir à moi les petits enfants !"
- Et les adultes ?
- Ce sont mes frères et mes soeurs. Je les aime comme s'ils étaient ma propre famille.
- Qu'a changé pour vous le coronavirus ?
- Certes, les fidèles ne peuvent pas pendant le confinement assister à la messe dans une église. Je continue chaque jour à célébrer la messe et pour les rendre présents, j'ai collé la photo de tous mes paroissiens sur leurs bancs habituels. Je pense à eux, ainsi je prie pour eux.
- Oui, et vous m'avez gentiment reçue alors que je ne suis pas de cette paroisse.
- À cause du coronavirus, nous rencontrons souvent des personnes isolées qui viennent prier ou demander une aide, un conseil, une prière.
- Mais quand il n'y aura plus d'épidémie, tout recommencera comme avant !
- Non, je ne crois pas les gens se seront posés des questions sur la vie après la mort. Certains seront revenus à Dieu. D'autres seront sur le chemin et puis, à la grâce de Dieu !"
Cette dernière expression revenait sans cesse dans sa bouche. Père Dominique faisait absolument confiance à Dieu, il ne se posait pas de questions. Détaché de toutes les contingences rudimentaires, il n'avait pour but que d'aider son prochain et de louer Dieu. L'art l'aidait pour cela contempler une belle église, admirer un tableau ou une statue, c'était aussi prier. La beauté de la musique religieuse : les messes, les requiem, les concerto : tout l'enthousiasmait, tout lui parlait.
Christelle eut du mal à mettre à profit l'enseignement du prêtre. Elle aurait voulu l'imiter mais elle avait toujours peur de la mort. On dit que le moribond revoit en quelques instants toute sa vie. Quelle tragédie pour les dernières heures qu'il lui reste ! Se remémorer ses échecs, ses manquements dans tous les domaines et surtout mourir seul ou seule. Dans les siècles précédents, on mourrait chez soi entouré des siens, on pouvait leur dire "au revoir " on recevait leurs adieux. Greuze a immortalisé la scène dans un tableau célèbre Le Fils indigne qui se trouve au Louvre. C'est la mort du juste et La Fontaine dans sa fable La Mort et le bûcheron évoque aussi cette mort dans le cercle de famille.
A cause du coronavirus, les familles ne pouvaient plus voir leur parent décédé. En plus, l'enterrement se passait comme à la sauvette avec un petit nombre de personnes. Aux actualités, les queues des corbillards devant les portes des cimetières avaient été montrées. Quelle souffrance de ne plus revoir celui ou celle qu'on a aimé et avec qui on a partagé sa vie !
Les corps avaient été transportés dans les chambres froides de Rungis, chacun dans son cercueil comme si la mort les rendait tous anonymes, insignifiants, porteurs des germes de l'épidémie qui se propageraient même après la mort. Il fallait faire de la place !
Bien difficile d'aborder cette mort qui frappait sans cesse, au hasard, ses victimes. Les plus de soixante-cinq ans mais aussi les malades, plus fragiles, étaient particulièrement visés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 4

"Il ne faut pas attendre d'être parfait pour commencer quelque chose de bien" Abbé Pierre

Les journées ternes sans sortie, sans la caresse du soleil, sans l'air frais s'additionnaient les unes aux autres. Christelle avait souvent du mal à respirer mais elle mettait ces problèmes sur le compte de ses cancers. La frontière était étroite entre les symptômes du coronavirus et ceux de l'insuffisance respiratoire et cardiaque, séquelles du cancer du poumon. Déjà, dès le début de l'épidémie, elle s'attirait les regards courroucés des parisiens quand elle s'approchait d'eux, pour attendre le bus. Les voyageurs des transports en commun s'écartaient d'elle, ostensiblement comme d'une pestiférée. La pandémie amenait des comportements paranoïaques ! Imperturbablement, les médias alignaient le nombre de plus en plus croissant.
Christelle avait rencontré également Soeur Sainte Marie des Anges. Elle avait vu, cette religieuse, à plusieurs reprises à l'église Saint Gervais-Saint Protais. Lors de messes télévisées, au début du confinement, elle l'avait reconnue.
Soeur Marie des Anges avait dû être très jolie si l'on considérait sas yeux vifs et pétillants, son sourire charmeur. Sa figure était empreinte de bonté, de bonheur que lui procurait, sans aucun doute sa foi et sa vie monacale. Elle portait l'habit de Mère Térésa avec le voile blanc au simple liseré bleu. Hiver et été, ses chaussures n'étaient que des espadrilles.
Elle animait des rencontres de jeunes, de catéchumènes, de retraités. Enfin, elle aidait tous ses semblables dans un esprit de charité chrétienne. Pour la moindre de ses actions, de ses paroles, la bienveillance rayonnait au fond de ses yeux. Dans tous ses entretiens téléphoniques, elle apportait la paix, réconfortait les coeurs blessés, les affligés, les révoltés.
Christelle aimait écouter ses paroles douces, murmurées plutôt que dites. Les gestes de Soeur Marie des Anges, même les plus simples, étaient une offrande à Dieu. Comme ses compagnes, elle avait consenti, très jeune, à être cloîtrée. La règle s'était un peu assouplie. Les religieuses, les moines étaient habitués à vivre en autarcie, le confinement ne les effrayait pas. Au contraire, elles se tournaient davantage vers Dieu et par la prière, elles combattaient l'Ennemi, le virus qui décimait tant de gens, ces inconnus qu'elles portaient dans leur coeur. Pour la guérison des malades, pour l'apaisement de leurs proches, pour que les morts trouvent la paix dans l'au-delà, elles priaient, chantaient, invoquant les Écritures. Elles avaient mis les autres au centre de leur vie. Les homme, les femmes, les enfants de toutes nationalités, de toutes religions ou athées occupaient leurs pensées. Elles vivaient non pas à moitié mais deux fois plus. La force des jours ne vient pas de leur accumulation mais de leur renaissance perpétuelle. Pour Soeur Marie des Anges, chaque jour était une prière, un émerveillement nouveau, une gratitude envers Dieu.
La religieuse raconta à Christelle comment dans les campagnes, une prière en commun réunissant toute la famille était dite. Les hommes enlevaient leur béret ou leur casquette et se tenaient droit derrière les femmes agenouillées sur des chaises qui priaient en croisant leurs mains et parfois même tenant leur chapelet. La grand-mère entonnait les chants et les prières, le reste de l'assemblée reprenait.
Sa grand-mère qui avait arrêtée ses études, à l'école, au certificat d'études connaissait parfaitement la Bible : l'Ancien et le Nouveau Testament. Elle lui racontait des épisodes édifiants comme le très pauvre Job, la femme de Loth changée en statue de sel, Jonas et la baleine. La petite s'émerveillait. Elle fleurissait les croix de pierre aux carrefours des chemins de campagne. Elle louait Dieu, le remerciait d'être en vie, d'avoir des parents et grands-parents qui la chérissaient. Elle aimait aussi se réfugier dans l'atelier pompeusement appelé "menuiserie" où au fond se trouvaient de grands tonneaux vides couchés où elle se réfugiait, le cur battant. Elle avait peur dans le noir des possibles animaux rampant. Mais, dans cette cachette, elle écoutait le silence. Elle priait comme sa grand-mère lui avait appris. Elle avait après des études classiques, senti, petit à petit, l'appel de Dieu. Donner plus de sens à sa vie, c'était assurer sa survie. Pas seulement dans l'espoir du paradis, vivre pour les autres permettait, pensait-elle, de vivre plus intensément. Aussi, le bénévolat, dans beaucoup d'associations caritatives, lui avait enseigné très jeune que la vie est multipliée par deux quand on aide son semblable.
Ensuite, elle découvrit Lourdes en tant que bénévole pour pousser les fauteuils roulants des malades. L'esprit de Lourdes la fit réfléchir. Voir autant de malades portés par leur foi, leur espoir d'une guérison ou au moins d'une amélioration la fortifia dans son désir de devenir religieuse. Dans chaque être humain, elle retrouvait le visage de Celui qui avait dit "Aidez-vous les uns, les autres". Aimer le Christ et lui consacrer sa vie était choisir la meilleure part. Selon elle, la prière, sur tremblante de l'amour, pouvait faire des miracles. Elle vivait pour les hommes, les femmes et les enfants de ce monde même si elle était isolée, sans mari, sans enfant. N'avait-elle pas choisi l'Époux le plus parfait ? C'était lhumanité de Jésus qu'elle priait et retrouvait Le Seigneur dans chaque être humain souffrant.
Pourtant il avait fallu quitter ses parents qu'elle aimait et les peiner en adoptant une route incongrue pour eux : ne pas se marier, ne pas avoir des enfants, abandonner les opportunités d'avoir un métier intéressant et bien payé. N'avait-elle pas suivi des études longues et difficiles qu'elle avait parfaitement réussies ? se demandaient son père et sa mère qui avaient beaucoup économisé, s'étaient sacrifié pour assurer un meilleur avenir à leur fille qu'ils avaient eu, eux-mêmes. Ils étaient catholiques et ne comprenaient pas le sacrifice de leur unique enfant.
Sur Marie des Anges avait choisi une voie difficile mais la vie en communauté l'aidait. L'amitié, le partage permettaient aux surs de supporter le froid l'hiver, les rations parcimonieuses, le travail parfois rébarbatif. Tous ces sacrifices, elles les offraient à Dieu afin qu'Il écarte de Son Bras Puissant la terrible épidémie qui s'abattait sur le monde.
Elle cherchait toujours à approfondir sa foi et aimait lire Pascal, Marie Noël. Quand Christelle l'interrogea sur la nécessité d'agir dans ces temps difficiles, Sur Marie des Anges lui cita Pascal : "Jésus Christ est un Dieu dont on s'approche sans orgueil et sous lequel on s'abaisse sans désespoir".
Elle trouvait dans la prière un moyen de communiquer avec le Christ. Elle était vraiment l'épouse de Jésus, c'était Lui qu'elle avait choisi. Elle avait l'Époux idéal. Elle avait tant entendu des confidences de femmes malheureuses auprès d'un mari qui les battait, les violentait. Elle priait pour que ces femmes aient le courage de quitter leur bourreau. C'était un dilemme car le mariage religieux ne peut pas être rompu, mais chaque être a le droit voire le devoir de sauver sa vie, pour lui et pour les autres. Ainsi, Soeur Marie des Anges apporta du réconfort à Christelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deuxième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 1

"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent" Victor Hugo

Michèle avait choisi par vocation d'être médecin. Dans sa famille, aux revenus modestes, elle avait dû consentir à beaucoup de sacrifices : travail pendant les vacances (des boulots mal payés et chronophages), pas de sorties, très peu d'ami(e)s, elle passait ses soirées, ses nuits à apprendre. En plus, l'enseignement était ardu. En tant que femme, il avait fallu se montrer distante. Elle avait appris à dissimuler ses sentiments, ses peurs, ses dégoûts. Devant les autopsies, par exemple, elle avait caché ses appréhensions. Dans son combat contre elle-même, contre ses condisciples, contre le sort qui accablait la plupart de ses malades. Elle luttait d'abord contre le Mal, la maladie et la mort. Sa vocation lui était venue après une maladie grave qui l'avait tenue allongée de longs mois. Dans l'hôpital où les médecins se relayaient à son chevet, elle avait grandement apprécié le personnel médical et même avait envié les docteurs qui parvenaient à vaincre la Mort, à redonner la santé à leurs patients, à consoler leur famille en cas de décès.
Puis, un jour, dans l'église Saint Sulpice, à la chapelle des anges, elle avait longuement admiré la fresque de Delacroix : le combat de Jacob et de lAnge. Cette métaphore de la lutte entre le Bien et le Mal trouva une résonance personnelle dans son esprit. N'est-ce pas le plus beau métier du monde de sauver ses semblables de la mort, de la maladie, de leur épargner la souffrance ? Ne pouvant être un Saint ou une Sainte, des hommes et des femmes sont devenus médecins.
Egalement, elle avait été confrontée à la mort de sa mère et avait compris qu'un médecin plus perspicace aurait pu sauver sa maman, âgée à peine de cinquante-huit ans. Michèle avait parcouru dans les bibliothèques des ouvrages de médecine. Elle y avait appris les symptômes avant-coureurs de ce cancer, elle aurait pu les décrypter si elle avait su, avant. Mais, les généralistes ne s'inquiétèrent pas quand elle leur rapporta que sa mère s'endormait en plein après-midi, tout en parlant avec elle. Sa mère, qui n'avait jamais été malade, eut une attaque. Conduite aux urgences puis après dans un service neurologique, elle subit des examens. Le verdict tomba comme un couperet : c'était un cancer à la tête, inopérable. Le professeur, grand ponte, la reçut, elle et son père, avec froideur et presque cynisme, les informant laconiquement que leur mère et épouse n'en avait que pour six mois tout au plus, ils devaient sourire devant elle et pleureraient après. Comment faire semblant d'être heureuse quand désespérée, chaque jour davantage, elle repoussait le spectre de la mort ?
Elle fut révoltée : " quel besoin ont les médecins d'annoncer la fin prévue d'une vie si brutalement et à quelle nécessité obéissent-ils en combattant si cruellement le moindre espoir dans le cur des proches de la famille ? " Michelle venait chaque jour parler à sa mère même si celle-ci dans un semi coma ne l'entendait pas, ne répondait pas. Elle s'attirait les foudres de l'infirmière ou du grand professeur : il ne fallait pas apporter des fleurs, des douceurs, il ne fallait pas être triste. Si elle notait une amélioration de l'était de santé de sa mère, le grand professeur lui rétorquait : "Cela ne veut rien dire, de toutes façons, elle ne vivra pas plus de six mois."
Certes, on pouvait lui répéter que sa mère était perdue mais Michèle croyait toujours qu'il surviendrait un miracle. Elle écrivit, téléphonant à d'autres médecins : elle aurait dérangé le monde entier pour que la mort épargne sa mère. Chaque fois qu'elle approchait de l'hôpital et plus encore quand elle poussait la porte de la chambre, mille oiseaux noirs battaient des ailes dans sa poitrine. Elle vivait dans la crainte à tout moment que sa mère ne meure. Elle tentait d'immobiliser le temps, d'éterniser le fugitif pour garder en mémoire au moins ces lambeaux de présents.
Être médecin était sa vocation, elle en était sûre : non seulement sauver la vie du malade, lui épargner des souffrances, mais aussi savoir le rassurer et donner de l'espoir aux proches du patient, quitte à mentir un peu !
Après la mort de sa mère, chaque matin, après une nuit sans sommeil, des cauchemars, elle était ramenée à la dure réalité par une sirène aiguë dans sa tête, qui lui répétait la nouvelle atroce de ce décès. Le dialogue entre Michèle et son père était interrompu depuis longtemps. L'ombre de l'absente les séparait comme une vitre infranchissable. La mère était leur lien pendant sa vie ; ils étaient perdus l'un et l'autre devant ce lac d'indifférence que des années de non-dits, d'élans de tendresse réprimés avaient formé. Auprès du lit où la morte gisait, ils auraient pu renouer les fils distendus de l'affection, mais ils voguaient chacun dans leurs pensées sur l'océan du malheur.
Michèle comprit que le combat du médecin était celui de la vie contre la mort. C'est à cette tâche qu'elle s'efforça de parvenir. Avec les cas de coronavirus, les médecins comme tout le personnel médical avaient fort à faire. Ils devaient porter les masques, bricoler des tenues qui les faisait ressembler à des cosmonautes. Ils ne comptaient pas leurs heures de présence à l'hôpital ! Heureusement, l'ambiance entre les équipes soignantes était chaleureuse. Cela les aidait à supporter les déconvenues. Parfois, des moments d'espoir : tel malade du coronavirus semblait s'en sortir. Puis, alors qu'il semblait en bonne voie de guérison, il mourait, laissant tout le personnel médusé.
Michèle se souvint de la pièce de Tchekhov Oncle Vania, et des paroles qu'elle faisait siennes :
"Cela me pèse sur la conscience comme si c'était moi qui l'avait tué, il meurt pendant que je le soigne".
Michèle échangeait avec ses colloques sur ce problème de responsabilité : eux préféraient accuser le hasard, le destin. Le docteur Michèle se remettait en cause, en particulier, quand il avait fallu lors de pénurie de lit, choisir entre les malades :
"Pourquoi celui-ci plutôt que celle-là ?" demanda-t-elle à son confrère Edmond
- "Il est plus jeune. Il a plus de chances de s'en sortir !
- Oui mais elle est plus combative, elle a eu des maladies mortelles et s'en est sortie, c'est donc que son corps combat et que psychologiquement, elle est assez forte pour guérir."
A la différence de ses collègues. Michèle combattait les idées reçues, les statistiques. Elle faisait confiance à l'instinct de survie de ses malades.
Mais, Michèle ne se contentait pas d'être un médecin hors pair, elle militait pour la cause des femmes battues.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

"Il y a toujours, puisque je le dis, puisque je l'affirme, au bout du chagrin, une fenêtre ouverte"
Mère Térésa

Quand l'administration décida du confinement, Michèle s'inquiéta tout de suite du sort des femmes battues. En effet, dans une promiscuité quotidienne, le nombre de violences conjugales ne manquerait pas de grimper. Une femme, tous les trois jours, mourait des suites de ces violences, en période normale. Elle apprit très vite que les plaintes ou cas recensés avaient augmenté de 35 pour cent. Tout en soignant les malades de l'épidémie, elle recevait les femmes victimes de violences.
A l'hôpital, Michèle vit dans la salle d'attente une femme prostrée qui avait l'air de vouloir disparaître à la vue de tous. Prostrée sur sa chaise, le dos courbé, les mains sur sa figure, cette patiente lui était inconnue mais elle représentait la douleur aussi bien que la mater dolorosa qu'elle avait pu admirer dans les musées.
Michèle fit rentrer la femme au visage dissimulé par une écharpe. C'était une femme jeune mais son attitude craintive n'échappa pas à Michèle.
- « C'est une femme battue », pensa-t-elle
Après quelques questions d'usage, Michèle aborda le sujet des violences conjugales :
-«  Depuis combien de temps, êtes vous confinée avec vos enfants, votre mari ? Comment se passe cette cohabitation ? »
La jeune femme tourna la tête, gênée. Puis, tout d'un coup, comme un torrent qui dévale brutalement la montagne, elle raconta la vie de violences conjugales qu'elle connaissait depuis longtemps mais que le confinement avait brusquement aggravée. D'abord, des gifles, puis des coups, pour un repas raté, un retard, et tant d'autres mauvaises raisons. Comme les enfants toujours présents souffriraient de la violence de leur père, Magali se taisait, dissimulait ses larmes, feignant d'être heureuse : que n'aurait-elle pas fait pour leur tranquillité ? Magali effectuait toutes les tâches ménagères, car même au chômage technique, son mari ne l'aidait pas alors qu'elle même travaillait comme caissière dans une supérette du quartier. Toute la journée, la crainte d'attraper le virus qu'elle aurait pu transmettre aux enfants, le souci constant de respecter les gestes barrières la préoccupaient. De retour chez elle, elle devait vérifier les devoirs des enfants. Alors que leur père était présent toute la journée chez eux, Pierre et Jeanne lui adressaient des messages anxieux sur des problèmes de calcul qu'ils ne savaient pas résoudre. Magali répondait à leurs messages comme elle pouvait, déjà débordée au travail. Harassée de sa journée au magasin, elle avait encore à expliquer les leçons, surveiller les devoirs alors que son mari regardait des DVD de match de football et jouait aux jeux sur internet. Pierre et Jeanne, jaloux de voir leur père se prélasser toute la journée devant la télé, refusaient de travailler, criaient. Leur père les réprimandait et ce fut pour les défendre qu'elle reçut un coup de poing qui lui ouvrit l'arcade sourcilière. Magali avait dû partir à la pharmacie, effrayée par le sang perdu. La pharmacienne avait contacté la police. Le mari avait été emmené pour interrogatoire mais il reviendrait, elle le savait. Il ne prononcerait même pas un mot d'excuse.
Il faudrait toujours feindre dans cette guerre muette où elle perdait chaque jour un peu plus d'autonomie, d'indépendance. Elle aurait pu le quitter déjà depuis longtemps mais elle s'était sacrifiée pour ses enfants. Son mari ne lui saurait aucun gré de tous ses efforts. Elle était lasse. Ses yeux rougis, ses cernes bleuâtres parlaient pour elle.
- Vous n'avez pas de parents proches chez qui vous pourriez vous réfugier avec vos enfants ?
Magali secoua négativement la tête :
- « Mes parents sont morts, mon frère et ma sur étaient loin, indifférents à ses problèmes. Ils ne se fréquentaient plus : mon mari les a éloignés de moi des le début de notre mariage.
- Des amis, alors ?
- Non, je n'ai que des collègues qui ont de trop petits appartements pour nous accueillir mes enfants et moi ! Déjà que Jeanne et Pierre sont un peu bruyants, un peu remuants, ce n'est pas possible ! Je ne m'en séparerai pas. Je ne peux les abandonner à leur père qui, non seulement ne s'en occupe pas mais les rudoie. »
Michèle savait bien que depuis le confinement, les violences conjugales avaient augmenté de 35 pour 100. De plus, des enfants aussi avaient été les victimes de ces violences : des pères indignes les frappaient comme ils battaient leur femme. Le docteur savait que la situation était intenable. L'incertitude de la durée du confinement empêchait de prévoir l'éviction du père du domicile conjugal et en attendant une mise à l'abri d'urgence. Les organismes n'étaient déjà que trop sollicités. La place manquait. Michèle possédait un appartement assez grand pour recueillir Magali et ses enfants. En contrepartie, Magali s'engagea à entretenir l'appartement et à aller chercher à l'école la fille de Michèle qui était débordée à l'hôpital. Depuis longtemps sensible à la cause des femmes, Michèle ne se contentait pas de dénoncer l'injustice de la condition des femmes battues, elle agissait. Elle manifestait pour la cause des femmes. Elle tenait des blogs pour aider les femmes battues. Ainsi, elle avait appris l'histoire d'Anne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

"La vie est un risque, si tu n'as pas risqué, tu n'as pas vécu ' 'Sur Emmanuelle

Anne vit avec un mari violent, mais en temps normal comme elle exerce un métier qui lui plaît, qu'elle retrouve ses amies souvent, elle ne veut pas partir en demandant le divorce. En plus, elle a deux beaux enfants qu'elle ne veut pas perturber en se séparant de leur père. Or, avec le confinement comme elle et son mari font du télé travail, chez eux, la situation du couple se dégrade rapidement. Anne reçoit, toute la journée, de la part de son mari des critiques injustifiées, pire des insultes et parfois même des gifles. Les enfants, âgés de six et neuf ans étaient mis le plus possible à l'écart, mais dans l'appartement, les cris du père résonnaient. Les deux petits étaient très attachés à leur mère tendre, affectueuse et qui s'occupait de tout. Durant le confinement, ce n'était qu'elle qui leur expliquait les devoirs, les aidait de son mieux, les levait, les habillait, leur préparait ce qu'ils aimaient manger. Le père distant, passait son temps à lire ses mails, à travailler sur son ordinateur. Quand les enfants jouaient en faisant un peu de bruit, il sortait de son bureau, courroucé. Anne devait intervenir pour protéger ses enfants. Elle détournait la colère du père sur elle.
Mais, un jour, ce fut trop. Anne avait été frappée violemment par son époux. Fatiguée de se trouver dans cette prison sans barreau où dans chaque pièce, elle ne se sentait pas chez elle mais chez lui. Toujours sur le qui-vive, pour une pièce non rangée, des vêtements non repassés, un repas en retard, elle craignait d'incessants reproches. Les enfants avaient bien le droit de se distraire, elle ne pouvait pas exiger d'eux que toujours leur chambre soit impeccable. Fuir, elle aurait dû fuir mais abandonner Paul et Marguerite à un père colérique, injuste, le plus souvent violent, elle ne le pouvait pas. Et puis à cause du cause du confinement pour le coronavirus, où pouvait-elle aller ? Elle aurait tant aimé partir dans son ancien appartement avec terrasse arborée, véranda, jardin de copropriété mais, malheureusement, elle avait dû louer cet appartement qu'elle avait acquis, toute seule, avant son mariage, pour complaire à son mari. Elle avait dû acheter avec son époux, un trois pièces sans balcon, sans terrasse, tout cela parce que cet égoïste préférait habiter plus près de son travail. Voilà le sacrifice auquel elle avait consenti ! Elle regrettait tous les jours de s'être mariée. Oui, cela aurait été plus simple pour se séparer et elle aurait vécu dans son appartement à elle avec ses enfants. Elle aurait pu récupérer Paul et Marguerite plus facilement car son mari n'étant pas paternel, n'aurait pas exercé son droit de visite très longtemps.
Maintenant, elle se sentait seule, elle aurait aimé téléphoner à ses collègues de travail, à ses amies mais son mari jaloux lui aurait fait une scène. Un jour, elle l'avait surpris en train d'ouvrir son téléphone portable pour regarder les derniers appels émis ou reçus. Heureusement elle était arrivée à temps et avait repris son portable, prétextant qu'elle devait appeler pour une livraison de courses. La vie avec son mari ressemblait à une guerre muette, pleine de duplicité. Elle lui mentait, lui combinait des coups bas pour la prendre en faute. Elle avait pourtant toujours été fidèle ! Même d'une amitié féminine, son conjoint aurait été jaloux. Si elle partait pour des achats de première nécessité, il l'appelait à dessein, prétextant avoir oublié de lui demander d'acheter un produit indispensable. Il vérifiait insidieusement si elle était bien dans le magasin. Également, il interrogeait les enfants s'ils l'avaient accompagnée : qu'avaient-ils vu ? qui avaient-ils rencontré ? En plein confinement, quand les gens équipés de masques, pour la plupart, évitaient, même, de se croiser, ces questions étaient d'un ridicule achevé ! Le plus souvent, quand Anne le pouvait, elle s'installait avec sa tablette devant sa fenêtre qui dominait la Seine. Les eaux d'or de la Seine s'étiraient paresseusement sous le soleil. Les quais déserts, les bancs vides lui donnaient une envie irrépressible d'aller s'asseoir pour prendre l'air mais c'était interdit. Il fallait, dans ce lieu clos, supporter la mauvaise humeur constante, les scènes de ménage que lui imposaient son mari.
Pour se détendre, Anne écoutait inlassablement du Mozart, en particulier l'adagio du concerto 23. Les notes du piano s'égrenant doucement mélancoliques, lentes et la reprise après des violons paraissait s'adresser à elle-même. La musique, comme langage de l'âme, dans ce morceau résumait sa vie : un peu d'espoir mais tant de déceptions et pourtant la lumière se trouverait nécessairement au bout du chemin. A travers les siècles, Mozart, Chopin et tant d'autres lui communiquaient le désir de lutter contre l'injustice que lui imposait son époux. Parfois, l'absence de promeneurs, de citadins, de cyclistes la désarçonnait : combien de temps cela allait-il durer ? Quand le soir s'annonçait, elle appelait les enfants pour leur montrer les vitres des fenêtres de tous les bâtiments d'en face qui captaient les derniers rayons du soleil pour les renvoyer en rectangles lumineux comme autant de signaux de la présence humaine. Les enfants imaginaient la vie de ceux qui vivaient derrière ses fenêtres. Y avait-il des enfants de leur âge ? En fait, plus que de regarder derrière la vitre simplement ils voyaient, avec leur cur bien au delà derrière les volets clos. L'existence des parisiens qui ne les préoccupait pas en temps normal leur paraissait énigmatique et ils déchiffraient maintenant, les indices de la présence de ces amis inconnus.
Elle interrogeait ses enfants : savaient-ils qu'on entendait à nouveau les oiseaux à Paris ? Annonciateurs de renouveau et d'espoir, ils reprennent petit à petit possession des arbres. Egalement, venant de la mer ou du canal de l'Ourcq, des mouettes survolaient la Seine. Paul compta les cygnes majestueux qui se déplaçaient en ligne. La Nature est belle à Paris quand la pollution et le bruit ne la gâchent pas. A droite, au fond, Notre Dame de Paris attire le regard. Certes la grue montre qu'elle est encore et pour longtemps en travaux mais elle résiste comme un vaisseau sur l'île de la Cité. Elle nous embarque vers l'avenir. Anne assurait aux enfants qu'il reviendra ce temps qu'ils attendaient, comme tous, où la guérison complète permettra la vie d'autrefois : le bonheur de se réunir et surtout de visiter les musées qu'une fée semble avoir endormis en attendant que les touristes et les parisiens comme des princes charmants reviennent, par leur amour de l'art, les réveiller. Paris, expliquait-elle à Paul et Marguerite, appartient à chacun et à tous,
Paris est si beau, si prometteur dans ce printemps plein d'espoir que les enfants croyaient de toutes leurs forces que l'épidémie serait vaincue et qu'ils pourraient retrouver leurs amis, leurs jeux à l'extérieur
Anne avait décidé de se venger de ce mari injuste, jaloux, violent. Elle songea que l'épidémie pourrait l'aider : tant de cas de contaminations et si Hugues l'attrapait, le virus ?
Alors, elle imagina un plan diabolique, elle le dénoncerait à la police qui se chargerait bien de l'isoler et de le contraindre. Elle savait que le virus se propageait très vite. Elle apprit qu'elle même était porteur sain. Elle n'en dit rien à personne, surtout pas à son époux, sans paraître le moins du monde affectée. Son mari pouvait très bien être contaminé chez eux. Alors, elle ne lui nettoya plus ses vêtements, ne lui procurait plus de masques neufs. Quand les enfants n'étaient pas dans la pièce, elle ne désinfectait plus les poignées de portes, ne portait pas de masque, elle ne respectait pas les gestes barrières à l'égard d'Hugues. Ses enfants, elle les surprotégeait. Avec eux, elle prenait bien soin de mettre un masque et d'observer une distance respectable pour les approcher avec prudence. Anne, patiemment, se disait que l'asthme de son mari aiderait à ce que rapidement le virus le décime. Quoiqu'elle fût catholique, elle envisageait ce décès probable avec désinvolture, même sans remords. Il l'avait bien cherché.
La dernière scène avait été plus violente que les précédentes. La nuit, alors que les enfants dormaient, il l'avait réveillée brutalement pour se plaindre d'elle: il fallait qu'elle soit toujours à sa disposition. Ces viols fréquents qu'elle subissait, sans se plaindre à cause de Paul et de Marguerite qui auraient pu entendre derrière la cloison de leur chambre, elle en avait assez. Elle le lui dit, il essaya de l'étrangler. Elle dut à son énergie, à sa volonté irrépressible de vivre d'échapper à la mort. Mais, maintenant, elle avait peur, une peur atroce qu'il ne la tue. Après les gifles, les coups de poing, les cheveux tirés, allait-elle être étranglée par cet homme, qui lui avait juré avant leur mariage qu'il l'aimait ? Est-ce là le prince Charmant qui avait promis de la rendre heureuse quand elle l'avait épousé dix ans avant, qui pouvait vouloir la tuer ? Elle savait bien qu'en France une femme meurt tous les trois jours des suites des violences conjugales.
La proportion des plaintes des femmes s'était accrue de 35 pour cent en cette période de confinement. Au départ, elle n'imaginait pas vivre des violences conjugales pour des insultes, des gifles, des coups car ils étaient espacés. Maintenant, elle appartenait bien à la triste cohorte des femmes battues. Combien de surs de misère connaissaient derrière des murs clos le même destin ?
Ainsi, après plusieurs jours, Hugues, son mari, se plaignait de fièvre, de douleurs à la tête et pire, il ne parvenait plus à manger : tout lui paraissait sans saveur, fade, insipide. Son humeur était massacrante. Anne aurait dû appeler le 15 mais elle s'en garda bien. De toutes façons, irascible, son époux, par fierté imbécile, ne consentit jamais à suivre les prescriptions des gestes barrières. Anne lui abandonna leur chambre et se réfugia dans une autre pièce. Sur le canapé du salon, elle pouvait enfin dormir, sans être importunée. Enfin, il prévint les urgences. Une ambulance vint le chercher et l'appartement retrouva un peu de calme. Anna partit se faire dépister, elle n'était pas atteinte. Ce fut un soulagement : elle pouvait s'occuper des enfants. Quelque temps après, elle apprit le décès de son mari. Vengeance implacable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 4

Histoire d'Isabelle

"Il n'est jamais trop tard pour faire quelque chose" Saint Exupéry


Isabelle avait épousé pour faire plaisir à sa famille et parce qu'elle était enceinte un homme @@qu'elle avait aimé au début mais elle avait été rapidement déçue par le comportement violent, les insultes de ce mari jaloux.
Rapidement, il en était arrivé aux gifles et aux coups. Il lui tirait les cheveux, la poussait, la menaçait. Elle voulait fuir mais ne le pouvait pas. Il la surveillait tout le temps. A l'aide de son téléphone portable, il la harcelait pour savoir où elle se trouvait. Sa jalousie n'avait pas de limite. Elle avait envie de partir. Mais il y avait l'enfant : comment faire pour ne pas éveiller les soupçons ? Elle avait déjà préparé sa valise avec les papiers importants, quelques vêtements pour elle et son enfant, même un nounours auquel tenait Joël. Elle avait caché cette valise sous le lit de l'enfant. Comment partir ? Pas de voiture ! Elle devait absolument trouver de l'aide : il avait déjà menacé de la tuer, si elle le quittait. C'était son jouet ! Sa famille ne lui serait d'aucune aide !
Les jours gris s'ajoutaient les uns aux autres. Son sourire avait fui : d'ailleurs, elle n'avait aucun motif de sourire. Elle baissait la tête tristement. Quand elle marchait dans les rues, elle choisissait toujours le trottoir le plus à l'ombre, Elle risquait de croiser moins de citadins et le soleil pouvait moins révéler cruellement les traces de ses larmes. Dans cette prison sans barreau, elle ne sentait nulle part à l'abri dans aucune des pièces. Le confinement avait aggravé les relations du couple. Comme il ne pouvait plus pratiquer les sports dont il était friand comme le football, la lutte, Walter s'en prenait à sa femme toute la journée. Sensible aux cris de son père, leur petit enfant Joël hurlait. A cinq ans, il était assez grand pour comprendre la violence physique et verbale de son père. Joël, lui même, avait été plusieurs fois enfermé dans sa chambre, privé de dessert, ou secoué brutalement pour une peccadille. Il était un enfant calme, jouant tout seul, en avance pour son âge, il savait déjà lire. Isabelle le lui avait appris, petit à petit et il adorait écouter les contes et les récits que sa mère venait lui lire pour qu'il puisse s'endormir, heureux. Pour cet enfant, sa seule consolation, son seul amour, Isabelle aurait tout supporté. Parce que son mari lui avait demandé (ou plutôt intimé l'ordre) de travailler pour la comptabilité de la petite entreprise : son garage, Isabelle n'avait pas pu obtenir de diplôme au-delà du brevet des collèges. Elle savait bien qu'avec un petit enfant, seule, sans appui de sa famille, elle ne retrouverait pas de travail. Elle n'avait aucune économie personnelle, même elle n'avait jamais cotisé pour sa retraite. C'est son mari qui payait la sécurité sociale, encore lui, qui s'assurait pour sa retraite. Si elle partait, son mari Walter allait lui faire mener une vie d'assistée. Elle avait connu déjà l'injustice de devoir demander de l'argent à son mari pour ses dépenses personnelles et celles du petit Joël. Si elle avait pu obtenir un carnet de chèques après bien des pourparlers, son conjoint qui contrôlait tout, lui demandait des comptes pour des chaussures ou un pull acheté en solde. Il prétextait qu'il avait besoin des tickets de caisse. Ce manque de confiance hérissait Isabelle. Elle s'évertuait à le rendre heureux, content et il était toujours de mauvaise humeur. Sans son fils, elle serait partie vingt fois, même la misère plutôt que la honte d'être une véritable esclave sexuelle, employée de ménage en outre participant par son travail à la croissance de la petite entreprise. D'ailleurs, le garage était au nom de Walter, il l'avait acquis avant le mariage. Isabelle, malgré cinq ans de labeur, risquait de parti sans rien. Comment élever correctement Joël dans ces conditions ? Le couple ne partageait aucun goût et pour la musique et pour la littérature ou la culture, le cinéma.
Toute seule, Isabelle avait appris à aimer la musique classique, l'opéra. En cachette, elle écoutait France musique, empruntait (avant le confinement) des DVD d'opéras, des CD de musique classique. Quand elle n'avait pas le moral, elle écoutait un morceau de musique. Elle préférait les opéras de Mozart, notamment La Flûte enchantée, L'Enlèvement au sérail, Le Mariage de Figaro... Elle était sensible à la place donnée par Mozart aux femmes. Elles gagnaient à la fin sur les hommes : elles se montraient plus intelligentes, plus libres. Leurs chants étaient souvent les plus beaux.
Face à son mari, elle ne parlait jamais de son jardin secret. Elle ne lui avouait pas aussi combien elle aimait la poésie et la littérature. Elle lisait en cachette, dérobant ses rares moments de tranquillité quand son mari était absent pour lire. Elle mettait des couleurs roses dans cette vie triste qui était la sienne. Elle échappait à l'angoisse des scènes en s'évadant par l'Art. Très jeune, Joël avait montré aussi son goût pour la musique, pour des petits morceaux comme "vous dirais-je Maman ?". Le père était absent, étranger à tout cela, seules les émissions sportives, l'intéressaient et un peu l'actualité.
La cassure entre les deux êtres s'était aggravée lors du confinement. Comment s'éviter toute la journée dans un petit appartement sans balcon, au dessus du garage ?
Les odeurs de cambouis, les coups donnés sur les tôles la gênaient. Maintenant ce tête-à-tête continuel avec Walter lui faisait redouter le pire. Elle avait appris à mentir, à déguiser les faits anodins, par exemple, elle écoutait en vaquant aux occupations ménagères dans la cuisine, la radio qui diffusait des opéras mais il fallait mettre le son le plus bas possible pour ne pas réveiller Monsieur qui ronflait devant la télé diffusant un ancien match de foot. Après les gifles, étaient venus les coups de pied, dans les jambes, puis les coups de poings dans le visage et la poitrine. Dans cette guerre muette, elle fourbissait ses armes : la vengeance. Elle s'était étonnée depuis longtemps que certains soirs, il disparaissait dans le garage. Qu'allait-il y faire puisque comme tant de petites entreprises, comme le garage, étaient fermées ?
Un soir, le cur battant, elle le suivit par l'escalier qui amenait directement au sous-sol du garage. Elle entendit le portail en fer grincer et une voiture entra. Alors, son mari prit une plaque numérologique et rapidement changea les plaques. De plus, les deux hommes sortirent dans le bureau vitré. Isabelle ne pouvait rien entendre mais elle comprit à leurs gestes que la discussion était houleuse. Isabelle avait appris à lire sur les lèvres quand elle s'était occupée de jeunes sourds, avant son mariage. Elle distingua les mots : "drogue", "cachette", "flics", "révolver". Elle comprit que son mari était mouillé dans une affaire de trafic de drogue. Alors, elle plaça une caméra de surveillance orientée vers le bureau. D'autres visiteurs suspects ne tardèrent pas à apparaître. Elle guettait ! Trois jours après, les deux hommes sombres revinrent. Walter leur ouvrit la porte du bureau avec précaution. Et là, Isabelle les observa. La caméra fonctionnait mais cachée dans un coin de la pièce : ils ne la virent pas.
Le lendemain, alors que son mari faisait la sieste, Isabelle alla récupérer le film. Elle prétexta une course à la pharmacie pour appeler les gendarmes. D'abord, elle montra ses traces de coups, elle dénonça son bourreau. Enfin, elle leur communiqua l'enregistrement de la caméra. Isabelle ne s'était pas trompée. Walter était un truand, même confiné, il avait continué ses trafics de drogue par appât du gain. Il écopa d'une peine de prison ferme car en plus il fut prouvé que cet homme violent battait sa femme, malmenait son enfant. Walter n'aurait pas fait de prison pour le seul motif de violence conjugale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Troisième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 1

"Il est temps d'instaurer la religion de l'amour" Aragon

Le confinement éloigne certains couples mais paradoxalement en rapproche d'autres.
Ainsi, les couples qui n'avaient pas pris la peine de se parler depuis des années, se redécouvrirent. Tout d'un coup, l'autre devenait plus important. Parce que les rapports ave les collègues au travail n'étaient plus possibles, les échanges entre conjoints reprennent de l'importance. Une nouvelle lune de miel peut se produire, chacun retrouvant dans son âme sur, son double.
Dans le sixième arrondissement de Paris, Marcel et Pierrette étaient ce qu'on peut appeler un vieux couple : cinquante ans de mariage. Certes, ils ont réussi leur vie professionnelle et familiale. Ils ont toujours travaillé, ont gravi les échelons de l'administration et ont pu acquérir une aisance matérielle ce qui leur a permis d'offrir des études longues à leurs deux enfants. Mais leur fils et leur fille mariés à l'étranger, les ont laissés seuls. Parce que des années de non-dits, de silence les ont éloignés l'un de l'autre, ils ont trouvé des dérivatifs, des amis en dehors de leur couple.
Mais, à cause du confinement, ils ont dû abandonner leurs collègues, leurs passions et se retrouver seuls. Il a bien fallu qu'ils recréent une certaine complicité. Finalement, leur amour qui avait l'air d'être enseveli, est ressurgi du lac d'indifférence où l'habitude les avait plongés. Chacun a retrouvé l'autre avec le même regard amoureux des premières rencontres. Une autre découverte. Ils se sont dit des choses aussi simples que celles ci :
-"Comme ton pull vert est assorti à la couleur de tes yeux !
- Toi, tu es mieux vêtu que hier, ta chemise te va mieux !"
Ainsi, même s'ils craignaient d'attraper le coronavirus virus, ils échangeaient des paroles et des gestes tendres. D'ailleurs, le plus dur pour eux, n'était pas de mourir mais de ne pas partir ensemble dans ce pays des étoiles qu'on appelle l'au-delà.
- "Pierrette, souviens-toi quand nous nous sommes rencontrés.
- Oui, c'était à Paris. Nous étions étudiants."
Un sourire complice. Et tout un pan du passé émergea de leurs souvenirs. Comme ils l'avaient aimé ce quartier latin. C'était au jardin du Luxembourg. Comme Marius avait découvert Cosette assise sur un banc, Marcel avait été intrigué par la présence d'une fille qui lisait avec assiduité ses cours. Elle revint les jours suivants, elle se mettait toujours à proximité du bassin sur une de ces chaises en fer malaisée à traîner mais qui permettait de rester à demi allongé. Le soleil du printemps caressait doucement les statues des reines de France. Dans l'air doux, comme elle lui paraissait royale. Son profil se détachait sur le ciel bleu. Les arbres, les fleurs semblaient figés dans l'attente de leurs premiers mots. Autour d'eux, le bruit des promeneurs s'estompait. Tout d'un coup, Marcel se sentit timide, lui qui n'avait pas peur d'aborder les filles dans les rues ou le métro. D'emblée, il comprit qu'elle lui plaisait bien plus que les autres. Il aurait aimé tout connaître d'elle. Il s'absorbait dans la contemplation de ce petit visage grave aux grands yeux ouverts sur la beauté du monde. Elle était absorbée dans ses lectures. Si elle allait mal le prendre dêtre interrompue !
Heureusement, un coup de vent complice dispersa les feuilles volantes. Marcel fut tout heureux de les ramasser. La belle le regardait avec une légère ironie. Mais, elle sourit gentiment quand il lui tendit la brassée de papiers. Ils parlèrent de leurs études respectives. Il la raccompagna à la vénérable Sorbonne. Il lui demanda la permission d’aller l’attendre à la fin de ses cours.
Ainsi, ils se revirent dans ce quartier latin où les cinémas, les petits restaurants, les terrasses ensoleillées accueillaient, si volontiers les amoureux. Paris protège lamour. Au début, chacun restait sur ses distances, ils se découvrirent petit à petit et comprirent qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Leur goût sur l’Art était semblable. Ils fréquentaient les musées et échangeaient leurs sentiments devant telle ou telle toile, heureux de voir que leur opinion concordait. Au musée du Louvre, au musée du Jeu de Paume, ils parcouraient les salles en se tenant la main. Ensemble, ils allaient à l opéra. Devant les ballets ou les concerts, ils s’enthousiasmaient. Enfin ils se rendirent compte qu’ils s’aimaient.
Puis, tout alla très vite, le mariage, la naissance des enfants Chacun se consacrait à son métier, ses occupations. A la maison, Pierrette débordée de travail avec de jeunes enfants, l’intendance, n’avait plus le temps de consacrer ses soirées à son mari et celui-ci fuyait le domicile familial, jaloux d’être délaissé au profit des enfants. Et l’habitude, en les éloignant, les sépara tout à fait.
Chacun avait ses amis ou ses collègues, ils pratiquaient leur sport, leurs loisirs chacun de leur côté. Les enfants grandirent se marièrent, les laissèrent seuls. Mais ils restaient toujours séparés. Leur conversation se limitait à des observations pratiques, à des considérations générales sur leurs enfants, le temps qu'il faisait.
Pierrette, qui aimait toujours les musées, aurait pu parler des expositions qu'elle avait vues avec ses copines. Mais, elle avait peur de déranger Marcel absorbé dans la lecture de son journal ou par son jeu d'échec. Elle attendait des questions qui ne venaient pas. Elle était trop fière pour exprimer sa peine d'être délaissée. Marcel, lui, aurait voulu qu'elle l'accompagne en vélo retrouver ses partenaires au jeu d'échec. Mais Pierrette n'en avait nulle envie.
Puis, quand elle le regardait, elle avait du mal à retrouver celui qu'elle avait aimé. Il avait grossi avec sa figure rouge et empâtée, ses cheveux étaient presque tous tombés. Il était devenu casanier, colérique parfois. Elle-même, depuis longtemps avait du mal à se reconnaître. Elle se trouvait ridée comme une vieille pomme. Si sa silhouette était restée semblable, elle avait dû mal à se tenir droite, à être alerte. Trop tard pour refaire sa vie ! Elle y avait songé bien des fois pendant le mariage. Mais, pour ne pas perturber les enfants, par manque de foi en elle et en l'avenir, elle avait abandonné ses rêves d'indépendance ou d'une deuxième vie de couple. Son âge avec la cohorte des troubles qui y sont liés, avait sonné le glas de ses dernières espérances. Marcel n'avait même pas senti ses besoins d'une autre vie. Sa femme, pour lui, devait être satisfaite de son existence, un point, c'est tout. Il avait réussi sa vie professionnelle, il gagnait trois fois plus qu'elle. Ses enfants avaient de bonnes situations, bref, il était content de lui. Il trouvait que sa femme avait eu une belle vie même si elle avait sacrifié une partie de ses études et une promotion pour élever les enfants.
Toutefois, il avait peur de la perdre à cause du coronavirus. Que ferait-il sans elle ? Elle reprit toute l'importance qu'il lui avait donnée, au départ. Il la regarda avec affection : "comme elle n'avait pas changé, par rapport à lui : toujours mince avec ses yeux verts". Il avait envie de le lui dire, de la prendre dans ses bras, mais à leur âge, il avait peur du ridicule.
Le confinement fut annoncé : impossible de sortir sauf pour des courses de première nécessité. Le couple de septuagénaires recommença à discuter.

Marcel faisait remarquer à Pierrette combien son pull vert allait bien avec ses yeux.
Quant à elle, elle le complimentait sur sa chemise. Il n'avait fait aucun effort vestimentaire après sa retraite.
Ainsi, peu à peu, ils redevinrent attentionnés l'un pour l'autre. Le mari aida à la cuisine, au ménage : ce qu'il n'avait jamais fait depuis des années. Ensemble, ils contemplaient la Seine. Elle déroulait son ruban argenté dans un Paris quasi désertique qu'ils ne connaissaient pas. Les monuments étaient toujours là immuables, indispensables à la beauté de Paris. Ils allaient marcher un peu le long des quais en s'attendrissant d'entendre les oiseaux chanter. Ils avaient revu des cygnes, des mouettes qui se réappropriaient la nature. Les hommes les avaient chassés pendant tant d'années : des canards avaient été vus traverser, en file indienne, la place devant la Comédie Française.
Ils parlèrent des livres qu'ils avaient lus, des opéras qu'ils avaient vus. Inquiets l'un pour l'autre, ils avaient soin du bien être et de la santé, chacun de leur conjoint. A deux, ils se sentaient plus forts. Ils reconnaissaient leur chance : ils n'étaient pas séparés.

Ils connaissaient un jeune couple qui était séparé. Ces concubins avaient attendu pour se marier. Les bans étaient déposés, la date du mariage programmée, la salle du repas de noces réservée. Mais, il fallait attendre. A quoi bon un mariage sans invités !
Fabienne était enceinte, elle était pressée. Elle était seule dans leur villa provençale puisque Maxime travaillait à Paris et logeait dans un studio. Fatiguée par son état, Fabienne craignait d'accoucher prématurément. Quand elle rencontrait son visage elle ne comprenait pas pourquoi elle avait changé autant : un masque de grossesse avait envahit son visage fin. Dès le matin, elle se sentait malade, nauséeuse. Toute nourriture lui répugnait. Un moment, elle eut l'intention d'appeler sur le champ Maxime pour se plaindre. Mais, elle n'en fit rien. Comment accoucher d'un enfant toute seule ? Plus de parents, pas d'amis, des collègues indifférents. Comment s'occuper d'un bébé toute seule ? Combien de temps, allait durer le confinement ? Sa place à la maternité était retenue, sa valise prête. Mais elle avait trop d'appréhension : même si Maxime lui téléphonait chaque soir, rien ne remplaçait sa présence. Ils avaient essayé la vidéo conférence : chacun voyait le visage de l'autre mais quand la communication s'interrompait : le sentiment d'abandon ressenti par Fabienne était renforcé.
L'interdiction de partir à plus de cent kilomètres affectait tant de gens comme eux : des amoureux, des parents, des petits-enfants....
Maxime avait bien essayé de prendre un train pour rejoindre Fabienne, dans le Sud. Mais, il avait été refoulé à la gare : il n'avait pas de certificat médical justifiant de l'état de santé de sa compagne et justifiant le nécessité de sa présence.
Ainsi, les Français, comme d'autres nationaux, devaient se soumettre aux consignes édictées par des spécialistes qui les privaient de liberté. Des situations absurdes furent révélées : un fils ne put pas rendre visite à son père mourant alors que les gendarmes de son village lui en avaient donné l'autorisation. Le dernier contrôle l'empêcha d'aller au chevet de son père. Non seulement les gens étaient privés de la plus élémentaire liberté, mais ils mettaient en danger leur vie.
Des cancéreuses avaient repoussé la date de leur contrôle dans le centre anti cancéreux où elles étaient traitées. Certaines moururent. Ainsi, pour fuir la probabilité d'attraper le coronavirus les malades ne prenaient plus garde à leur maladie mortelle. La peur régna partout et les statiques, les constats de l'augmentation des cas de coronavirus propagèrent l'inquiétude d'un bout du pays à l'autre.
Comment cette épidémie se propageait si vite ? Certains de ceux qui avaient la foi pensaient que Dieu avait envoyé ce fléau pour faire réfléchir l'humanité. En effet, l'égoïsme qui régnait en maître, le "chacun pour soi" ne correspondaient pas aux principes catholiques. Peut-être, l'homme serait meilleur grâce à ces épreuves.
C'était bien une épreuve qui déchirait les couples, les familles. Même les amis étaient loin. Une lettre avait du mal à parvenir. Le téléphone ne fonctionnait pas bien dans certaines provinces.
Comme les églises étaient fermées, les messes interdites, les catholiques comme d'autres croyants souffraient de ne pouvoir prier dans un lieu de culte. Certains comme un ministre proclamaient haut et fort qu'on pouvait prier chez soi de la même façon que dans un lieu consacré. Mais c'était quasi impossible dans un petit appartement où il fallait être à plusieurs. Comment s'isoler ou se concentrer dans un espace réduit ? Puis l'angoisse de mourir vite, de façon imprévue, paralysait les personnes âgées ou fragiles.
Le gouvernement jugea bon de préconiser aux personnes de plus de soixante-cinq ans de rester chez elles le plus possible. Cette injustice fut très mal accueillie : pourquoi tel âge plutôt que tel autre ? Des jeunes pouvaient être plus malades selon leur pathologie que des seniors. Déjà que les retraités se sentent culpabilisés sans cesse. Le tollé général suscita des pétitions. Devant l'opposition de la frange de la population la plus matraquée par le marketing, les instance décisionnelles reculèrent ! Ainsi, depuis le début, les scientifiques, les docteurs habilités à donner leur avis sur la situation revenaient en arrière. Pas de masque puis masque obligatoire, d'abord dans les lieux clos mais aussi en extérieur pour beaucoup de villes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

'La vraie morale, la vraie justice, la vraie vertu présupposent l'universalité et donc l’égalité des droits" Nous et les autres
Tzvetan Todorov

 

Le confinement révélait une cassure entre les pauvres et les riches, les banlieusards et les parisiens du centre. Il y avait ceux qui possédaient une résidence secondaire et avaient eu le temps d'y aller avant le confinement et les autres. Les citadins se trouvaient désavantagés par rapport aux provinciaux qui avaient une villa et un jardin.
En plus, la situation économique devint critique pour tous : plus de chômeurs, des entreprises étaient obligées de déposer le bilan, les touristes fuyaient la France, les hôtels, les restaurants et autres, étaient en péril.
A toutes ces difficultés très graves s'ajouta une recrudescence des vols, des arnaques financières, comme bien sûr des violences conjugales.
A cause du confinement, des appartements ou des villas avaient dû être délaissés et ils furent cambriolés. Comme le bruit courut que l'État risquerait de prélever sur les comptes des particuliers, les citoyens inquiets cherchèrent à sauvegarder leur épargne. Mais ils tombèrent de Charybde en Sylla.
Démarchés par téléphone, ils furent bernés par leur interlocuteur. Se servant de la notoriété d'une banque bien réelle, ces financiers peu scrupuleux créèrent un site qui n'avait rien à voir avec la banque dont leur victime avait signé le contrat. Malgré leurs promesses de rendre l'argent, la victime escroquée ne put récupérer son argent.
Harcelée par son trompeur de promesses fallacieuses, bien entendu, beaucoup plus intéressantes que ce qu'elle avait avant jusqu'à ce qu'elle accepte de signer le contrat et de faire un virement, Émilie fut, comme tant d'autres, bernée. L'arsenal des trompeurs était bien rodé.
Sur leur publicité dans l'angle, se trouvait le logo de la banque de France, donc la proposition avait l'air très sérieux. Ensuite, Emilie pouvait se rendre compte que sur internet, la banque était bien référencée et répertoriée par les hautes instances bancaires. Rassurée encore, par le contrat en bon et due forme, elle voulut bien tenter de placer un peu d'argent. Mais l'insatiable chargé d'affaires continua ses appels intempestifs à toute heure du jour. Il arguait que pour Émilie, il avait gardé une opportunité intéressante et qu'il fallait encore faire un virement de 10000 euros pour en bénéficier.
Émilie eut des doutes : "pourquoi s'acharnait-il ainsi sur elle, puisqu'elle avait refusé plusieurs fois ? Ensuite, comment se faisait-il s'il avait une clientèle aussi nombreuse qu'il le prétendait, qu'il insiste autant."
Émilie vit clairement que M B. son soi-disant conseiller financier agissait dans son propre intérêt et non dans le sien, à elle. Ce sale bonhomme s'était enquis au tout début de leur première conversation, de sa situation de famille. Émilie n'y voyant aucun mal lui avait avoué qu'elle vivait seule, sans enfant, cancéreuse avec une espérance de vie réduite.
Donc, il s'en servit. Émilie était une victime toute désignée. Sachant qu'elle mettait une association pour aider les femmes battues et les cancéreuses, bénéficiaire de tous ses biens. M. B. lui proposa sans vergogne d'être couché sur son testament.

Alors, que le coronavirus sévissait encore plus, il n'y avait aucune solidarité et pire, certains profitaient de la situation pour tromper des êtres vulnérables.

Et puis une animosité latente entre les citoyens s'observait.


Le port du masque engendrait des querelles. Dans les transports, notamment.
Christelle observa cette scène.
Une femme très maquillée, l'air hautain, habillée tapageusement, s'adressa sèchement à un pauvre homme à l'aspect souffrant, maigre et malingre
"Alors, et le masque ?"
L'homme fatigué réajusta son masque comme il put. Il respirait bruyamment :
"Je suis sous oxygène thérapie, j'ai une insuffisance respiratoire, je ne peux porter le masque sans cesse"
La femme prit ses grands airs :
"Cela ne vous autorise pas à contaminer les autres
Mais, Madame, je n'ai pas le coronavirus, juste un cancer !"
Il fallait donc se justifier et en plus arguer une maladie mortelle aussi terrible pour n'être pas dénoncé.
Comme dans les années noires de l'occupation, les petits délateurs étaient légion. Ils avaient commencé lors du confinement, ils avaient continué après le déconfinement.
Inlassablement, ils feraient la leçon à leurs concitoyens. Se sentant investis d'une mission donnée par des instances supérieures (le gouvernement, les experts scientifiques, la police, etc., bref tous les corps de l'état) ils étaient à l'affût de la moindre entorse à la règle commune.
Gabriel, homme fier et peu amène, promenait sa haute taille et cinquante cinq ans bien sonnés dans son arrondissement en déplorant le laisser-aller général. Devant le bureau de poste, une file de personnes attendait debout. Une femme vieillie, maigre, épuisée d'avoir marché sous le soleil se faufila pour dépasser la rangée de parisiens qui attendaient leur tour.
Gabriel s'écria d'une voix forte :
"Cette dame n'attend pas son tour".
Il avait vu devant la porte un employé chargé de canaliser le flux des clients.
La pauvre femme avait beau dire d'une voix faible :
"Excusez moi, j'ai une carte d'invalidité à 80 pour cent. Je voudrais m'asseoir ! "
De loin, elle avait repéré une chaise devant la porte ouverte.
Enfin, le préposé vint à son secours :
"Laissez passer Madame : elle a le droit de s'asseoir et de passer en premier, elle est prioritaire".
Beaucoup de gens maugréèrent : certains, même, entre leurs dents, laissèrent échapper ces paroles :
"- Tout le monde est malade.
- Chacun ses problèmes.
- S'il fallait chaque fois, céder sa place, on ne s'en sortirait plus ! "
Et chacun d'évoquer ses maladies :
"Moi, j'ai mal au dos et pourtant j'attends mon tour"
"Puis, si elle était si malade, elle resterait chez elle"
"Mes pieds me font souffrir mais je ne me plains pas, je reste dans la queue"
"Certes, elle n'a qu'à envoyer quelqu'un faire ses courses ou du moins ne pas sortir quand il y a trop de monde"
"Oui, nous, on travaille, on n'est pas à la retraite comme elle".

Des sentiments les plus primaires de jalousie, d'égoïsme, de délation se vérifiaient chaque jour. La peur de mourir comme la crainte d'être reconfinés conduisaient les plus âgés, dépassant trente ans, à être prudents. Mais, les jeunes trop pressés de jouir de la liberté après le confinement n'appliquaient que très peu les gestes barrières, se réunissant pour faire la fête. Des lieux comme les berges de la Seine, le long des canaux étaient très peuplés. Les jeunes gens pique-niquaient et jetaient à la Seine ou à l'eau leurs bouteilles en matière plastique ou leurs canettes ! Ils se moquaient pas mal des consignes : ils ne portaient le masque que dans les métros ou les bus parce qu'ils risquaient une contravention. Que les oiseaux ou les poissons meurent des objets qu'ils laissent au fil de l'eau ne les préoccupent pas : ils vivent dans l'immédiat pour eux !
Puis, le gouvernement avait tant mis l'accent sur l'âge des morts dus à l'épidémie du coronavirus (après soixante-cinq ans) qu'ils se sentaient épargnés. Pour eux les "vieux" comme ils les appelaient devaient bien mourir en premier. Quoi de plus normal ! Leur jeune âge les protégeait, pensaient-ils !
Or, les chiffres inquiétants de la recrudescence du virus montraient que la jeune population n'était plus épargnée, bien au contraire. Mais pour eux, une mort est tragique, mais mille morts, ce n est qun chiffre.
Il fallut imposer le masque à l'extérieur, dans des zones où le public est important : les marchés, les rues très commerçantes, les quais de Seine ou ceux des canaux, certains parcs où les gens se rassemblaient en groupes.
Dans la capitale mais aussi dans les grandes villes françaises, les mêmes restrictions s'appliquèrent. Les contrevenants au port obligatoire du masque furent sanctionnés par une amende importante. Mais comment ne pas crier à l'injustice ? Dans les rues Mouffetard ou Montorgueil, il faut être masqué mais dans les rues parallèles ou adjacentes plus d'obligations.
Il est à parier que les promeneurs les arpenteront davantage
Des rumeurs courent depuis l'apparition du covid.
Pour pallier les pertes subies par l'état en cas de dette nationale trop importante,
le gouvernement aurait le droit de prélever les épargnes de leurs citoyens. Cette crainte fut si forte que beaucoup, se précipitèrent vers des placements mieux rémunérés mais qui se révélèrent être des escroqueries.
Nous serions reconfinés par secteur, dans une même ville, certains arrondissements le seraient d'autre pas, d'autres oui et comment aller dans une zone non confinée, si on résidait dans un district confiné ?
Vivent les villageois, les propriétaires de villas ou d'appartement avec jardin ! Les biens immobiliers retrouvèrent des acheteurs, mais en province surtout. Dans les villes, seuls les appartements avec terrasse ou balcon ou véranda se vendaient très bien et bien sûr ceux qui avaient un jardin. Les citadins émigrèrent vers les banlieues favorisées.

Michel Leiris définit l'homme comme un être social doué de culture. Mais depuis le confinement, l'être humain se rend compte qu'il est dépendant de la nature.
Rester confinés chez soi, dans des appartements exigus sans voir le ciel, un arbre et parfois seulement ne voir qu'un mur en face nous fit regretter la nature.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

"Ce n'est pas de nouveaux continents qu'il faut à la terre, mais de nouveaux hommes"
Jules Verne


Martial professait l'écologie : il était convaincu que le retour à la nature est une question de survie pour l'espèce humaine, pour les animaux mais aussi et surtout pour la planète. Il avait mené tous les combats, assisté aux manifestations en faveur de l'écologie, créé un blog pour mieux faire connaître l'écologie. S'il ne s'alimentait pas du tout vegan, il était volontiers végétarien et en tout cas détestait voir manger de la viande ou même passer devant une boucherie. Ces "cadavres" d'animaux lui répugnaient. Un jour, tout jeune encore, il avait décrété qu'il ne mangerait plus de mammifères. Il avait assisté dans une campagne reculée du centre de la France à la mise à mort du cochon de la ferme et avait été horrifié. Le porc criait de toutes ses forces, il sentait venir la mort. Et le pire était que les gens de sa famille : ses grands parents, ses parents très gentils, de bons catholiques supportaient le spectacle avec calme. Traditionnellement, il fallait tuer le cochon pour faire des provisions pour passer l'hiver. Si dans les années de pénurie, comme pendant la guerre, cela pouvait un peu se comprendre avec la diversité, la qualité des aliments à acheter ou à cultiver s'était trop absurde. Mettre en balance une satisfaction élémentaire de nourriture à bon marché et la vie, la souffrance d'un animal était trop cruel.
Martial s'enfuit, horrifié avec son chien, son ami depuis l'enfance. Ils partirent au fond des bois pour ne plus entendre les plaintes de l'animal sacrifié à l'appétit et à la gourmandise de ses maîtres. Lorsqu'il revint, devant les amas de viandes, le sang qui servirait à faire le boudin, Martial se promit de ne plus jamais manger de mammifères.

Jamais, il n'oublia sa résolution. Sa mère avait beau le supplier "pour avoir de la force" de manger de la viande, son père le menaçait en pure perte. Martial préférait se priver de dîner, se coucher sans souper, plutôt que de manger le cheptel de la ferme. Il aimait trop voir s'ébattre en liberté les agneaux, les veaux, les porcelets si attendrissants. Comment préférer la mort à la vie ?
Il avait pour véritable ami son chien Pompon, avec lui, il arpentait les châtaigneraies, les prés. Il ne craignait pas les serpents ou animaux sauvages avec son gardien à quatre pattes. Il savait que n'importe où il devait aller, son bâtard l'accompagnerait : le plus beau des chiens pour lui avec son pelage fauve et ondulé, ses yeux interrogateurs, confiants, tendres. Quand il devait quitter son ami pour de longs mois, à la fin des vacances, Martial embrassait son ami, le caressait longtemps et dans la voiture qui l'emportait, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus le voir, regardait par la vitre arrière son chien fidèle qui lui manquerait tant. Sa grand-mère lui révélait que chaque fois après le départ, Pompon jeunait pendant trois jours au moins tant il était triste.
Mais, Pompon, son confident à quatre pattes, mourut et au retour des grandes vacances, Martial ne put que retrouver la terre fraîchement remuée où ses restes avaient été ensevelis. Pompon était retourné à la Nature anonyme, ne laissant que des souvenirs même les photos jaunies ou floues n'étaient qu'un pâle reflet du compagnon que Martial avait tant aimé.
Peut-être, si Martial entreprit de longues et difficiles études de vétérinaire, cest qu’il chercha à soigner du mieux possible les animaux qui lui étaient confiés et à les garder le plus longtemps en vie auprès de leurs maîtres. Un vétérinaire en ville ou à la campagne exerce un métier assez différent mais le même amour des animaux se manifeste. Martial le découvrit quand il occupa des cabinets en Province ou dans la capitale. Martial eut besoin d'un nouvelle valve aortique, un bovin ou un porcin fournit la valve après sa mort : encore une bonne raison pour ne pas manger ses mammifères qui lui sauvèrent la vie !

Martial se proclamait écologiste et il avait de la considération pour le saint patron des écologistes : Saint François d'Assise qui appelait les animaux frères. Comme quand il avait apprivoisé le loup qui sévissait à Gubbio, il demanda à Frère Loup de ne plus manger ni impressionner les humains. Frère Loup signifiait son accord mit sa patte dans la main du Saint. Depuis lors, le loup vécut heureux à Gubbio allant mendier sa pitance de maison en maison. Aimé de tous les villageois, il fut pleuré quand il mourut. Saint François savait communiquer avec les animaux : les oiseaux l'écoutaient quand il leur disait qu'ils ne semaient ni ne moissonnaient, mais que Dieu le père les nourrissait.
Ainsi toute la création est solidaire, protéger la terre, l'eau, comme les espèces animales en voie d'extinction est une question de survie pour la planète.


A cause du coronavirus, des chiens furent adoptés ils permettaient à leurs maîtres d'avoir une excuse de plus pour les promener lors du confinement.
Les animaux furent mieux considérés. L'opinion publique s'indigna quand elle apprit par les actualités qu'un cygne à qui des garnements avaient cassé les ufs donc empêchant les poussins d'éclore, s'était laissé mourir de chagrin. L'animal est doué de sensibilité : il doit être protégé et non pas chassé, traité en bête de somme. Ainsi, à Naples, un cheval tirait, sous le soleil accablant, une charrette pour promener les touristes. Tout d'un coup, en plein milieu d'une rue, le pauvre cheval s'écroula. Comme il avait dû souffrir avant d'en arriver là. Le dicton à propos des animaux en particulier ceux domestiqués se vérifie tous les jours : "il ne lui manque que la parole."
Il faut entendre les cris du cochon qui comprend qu'on va l'égorger, dans les campagnes. Il sent venir la mort. Non, la théorie des animaux-machines dont Descartes fait état ne tient pas. Les faits divers qui relatent que dans des abattoirs les animaux sont mal traités, souffrent avant de mourir, sont légion . Les animaux domestiques comme le chat ou le chien sont non seulement abandonnés mais aussi mal soignés, frappés, battus ; ils subissent d'atroces souffrances de la part de leur maître, bien souvent on doit se demander lequel de l'homme ou de l'animal est le plus doué de sensibilité.
Le confinement comme l'épidémie du coronavirus amène à reconsidérer la place de l'animal dans notre vie. Des animaux ont réinvesti rapidement les villes désertées par l'homme lors du confinement. Ainsi, devant la Comédie Française sur la petite place, juste devant la vénérable maison un troupeau de canards à la queue leu leu a déambulé, des animaux sauvages comme un sanglier, un cerf ont été vus dans les villages. Désertés par les hommes, les villes jusqu'aux hameaux recevaient la visite inopinée de ces animaux trop souvent injustement chassés.
Martial, en tant qu'adversaire farouche des chasses à courre, se réjouissait de cette revanche des bêtes. Ainsi il s'opposa à un chasseur qui prétendait faire du bien à la Nature en sacrifiant chaque année des animaux innocents :
- « les chasses devraient être interdites, des accidents de chasse sont à déplorer. En plus dans notre époque où tout le monde en occident peut trouver à manger, nul besoin de tuer des animaux pour se nourrir mais pour afficher des trophées, c'est inadmissible ces chasses organisées pour satisfaire les riches et les puissants où l'animal est aux abois, poursuivi par une meute de chiens.
- Oui, mais c'est la tradition !
- Une tradition imbécile qui perdure depuis des siècles pour le malheur des animaux ! »
Le contradicteur Edmond n'osa plus rien dire. Il habitait la Sologne, pays de châteaux et de chasses à courre. Le tourisme bénéficiait de l'argent des chasseurs.
- « Pourquoi l'épidémie de coronavirus, à votre avis, si ce n'est pour nous faire prendre conscience de tout ce qui ne va pas sans notre monde ?
- Oui, une sorte d'apocalypse, en somme ?
- Attention, il faut prendre le mot "apocalypse" dans son sens premier de "révélation".
Les prophètes de malheur qui se servent du coronavirus pour prédire la fin du monde ont tort. La planète est malade mais elle peut être sauvée si les hommes changent leur comportement vis à vis de la Nature et des animaux. »
Edmond promit d'en parler à ses amis les chasseurs.

 

Ainsi, le coronavirus provoqua pour certains une remise en question.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Chapitre 4

Les héros du quotidien

"L'homme supérieur est celui qui remplit son devoir" Eugène Ionesco

 

Les professeurs
"Les professeurs sont irremplaçables, ils nous apprennent à apprendre" Green

À vingt-cinq ans, Irène avait abandonné un emploi plus en vue et où elle gagnerait plus d'argent pour l'enseignement. Par amour des enfants, mais aussi par passion, pour les matières qu'elle enseignait : la littérature, l'histoire.
Irène croyait fermement quun enfant, un enseignant, un livre, un crayon peuvent changer le monde. Irène aimait apprendre et voir les élèves réussir à lire à la fin de l'année. Elle s'était portée volontaire pour faire la classe aux enfants des personnels soignants. Au début du confinement, elle savait qu'elle prenait des risques : pas de masques, les enfants souvent porteurs sains pouvaient facilement transmettre le virus et elle-même pouvait, sans le savoir, le communiquer à son bébé de dix mois. Son mari, qui travaillait en télé travail s'occupait de leur fils Léo. Combien de temps le coronavirus sévirait, combien de mois serons nous confinés?
Dans sa salle de classe, où les petites tables étaient suffisamment espacées les unes des autres et aussi de son bureau, elle imaginait des cours, des activités assez brèves pour laisser ses élèves profiter des moments de récréation puisqu'il fallait veiller sans cesse qu'ils n'aient pas trop de contact entre eux, afin de ne pas se contaminer. Dans ce type de classe où les enfants n'avaient pas le même âge, ni le même bagage, des cours par niveau étaient nécessaires. En plus, il fallait veiller constamment à ce que les gestes barrières soient respectés. Deux handicapés méritaient en outre sa constante présence auprès d'eux : un garçon sourd et muet qui communiquait surtout par signe, pour que Jean puisse lire sur les lèvres, il fallait bien articuler et veiller à ce que son visage soit bien éclairé. Irène s'était documentée, elle avait appris l'alphabet des signes. Elle ressentait de la compassion pour cet enfant qui vivait depuis sa naissance, enfermé dans son handicap. Elle pensait que seulement depuis un mois, toute la population confinée se plaignait alors que tant d'handicapés devaient vivre en marge des autres, ne pas pouvoir écouter de la musique comme pour Jean ou être prisonnier de leur corps et de leur esprit comme la petite Célia, une enfant autiste. Célia s'échappait, dérobait les stylos les cahiers de ses condisciples, barbouillait ses dessins, parlait fort, criait en plein cours. Irène avait du mal à tout gérer. Mais elle sentait qu'elle était un rouage dans quelque chose de grand, de primordial qui la dépassait : le combat du monde entier contre la mort. Son devoir, n'était-il pas de tout faire pour que la vie continue, que l'épidémie s'arrête.
Avec tous ses collègues, Irène était bien une héroïne du quotidien.


Les travailleurs généreux

"La vraie générosité dans l'avenir consiste à tout donner au présent' Albert Camus

Des professions méprisées ont été mieux considérées pendant le confinement. Par exemple, les éboueurs ont permis que les villes restent propres. Les habitants pour les remercier font plus attention à ce qu'ils jettent dans les poubelles. Les enfants pour rendre hommage à ces hommes courageux leur laissaient des dessins sur le pare-brise.
Ahmed savait qu'il prenait des risques : son équipe et lui n'étaient pas assez protégés. Pas assez de masques, de combinaisons pour éviter d'attraper le coronavirus, un travail pénible et mal payé. Aux premières heures du jour dans le froid du petit matin, il fallait attraper des poubelles pesantes, les vider, courir derrière le camion pour ne pas perdre de temps et éviter les klaxons des livreurs qui eux aussi étaient autorisés à continuer pour ravitailler les magasins d'alimentation. La mort, il ne la craignait pas. Il savait que l'essentiel est de faire son devoir. Il n'avait rien à dire, rien à expliquer, il faisait ce qu'il devait faire, c'est tout.

Les livreurs, les caissières des magasins d'alimentation, eux aussi, étaient embarqués sur le même navire : ils devaient louvoyer en haute mer, tenir le cap pour que la vie continue. Nourrir la population confinée, un objectif qui paraissait simple mais qui comportait des contraintes : le port du masque, le réaménagement des boutiques, la fatigue. Yves pédalait toute la journée pour aller livrer ses clients en produits alimentaires : les commandes par internet avaient explosé mais les gens voulaient aussi que leurs courses soient portées chez eux. Arrivé à l'adresse indiquée, Yves devait monter encore les courses à pied car parfois, soit il n'y avait pas d'ascenseur, soit l'ascenseur était en panne et le technicien confiné aussi n'avait pu venir le réparer. Toujours en veillant aux gestes barrières et en mettant le masque qui souvent l'empêchait de respirer correctement. Au magasin d'alimentation, pas le temps de discuter avec la caissière Delphine, elle-même, débordée car, en plus de son travail habituel, il fallait qu'elle veille aux distances de sécurité, à ce que les clients portent un masque et se désinfectent les mains.
Les journées sans pouvoir faire une pause s'amoncelaient avec la crainte que l'épidémie ne soit pas résorbée.

Le personnel médical et para médical était mis à contribution. Quel effort de trouver chaque jour des survêtements pour remplacer la pénurie de vêtements de protection ! Quelle fatigue de travailler sans compter ses heures jusqu'à épuisement ! Quelle force fallait-il avoir pour soulever les malades, les changer de position, les transporter ? Quelle énergie pour prendre sur soi
le découragement que causait la mort subite d'une personne qu'on croyait sortie d'affaire ! Mais, le courage mène plus loin que la peur, que le doute. Il fallait surtout ne pas s'habituer aux décès des malades, ignorer les statistiques parce que l'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.
Claudine, à la retraite, avait été rappelée pour aider car les hôpitaux manquaient d'effectifs : elle aurait pu refuser car elle était atteinte d'une maladie cardiaque handicapante, mais elle n'y songea pas une seconde. Chaque instant, son travail à l'hôpital serait un défi, une bataille. Elle était prête à aider ses collègues comme ces amis inconnus qu'elle n'abandonnerait pas. Elle avait le devoir de sauver le plus de malades possible.
Elle se réjouissait le soir, quand la journée finie, à vingt heures, elle entendait le concert que ses voisins improvisaient sur leur balcon, pour remercier le corps médical. Les Français qui le pouvaient, faisaient ce vacarme avec des casseroles, des applaudissements, des chants et de véritables instruments de musique. Ce sympathique brouhaha était une récompense pour ces journées épuisantes passées auprès de malades, certains guérissaient, d'autres non. Claudine était contrariée comme si ces malades moribonds appartenaient à sa famille. Parfois, elle se révoltait contre Dieu : "que faisait Il celui là ? Dans le monde entier, Il était prié. On L'invoquait afin qu'Il détourne de Son Bras Puissant ce fléau qui décimait avec une injustice incompréhensible : les vieux et les jeunes, les malades chroniques et les bien portants, les riches et les pauvres, les bons et les méchants ?"
Quand cela finirait-il ? Ne pouvant être des saints et faire des miracles, les hommes et les femmes courageux se sont faits médecins, infirmiers ou infirmières pour prendre le Mal à bras le corps et le vaincre le plus possible. Claudine ne supportait pas de voir la souffrance celle physique des malades en fin de vie qui n'arrivaient plus à respirer, abandonnés à leur destin parce que tout ce qu'on avait pu faire pour eux avait été tenté, celle morale de ceux qui sentaient venir la Mort et de ces familles endeuillées à qui on refusait même d'accompagner leur cher défunt à sa dernière demeure.
Claudine refusait de croire en la Bonté d'un Dieu qui laisse l'humanité en guerre contre une épidémie si cruelle. Les progrès de nos civilisations avancées à quoi servaient-ils ? On allait sur la lune mais on ne trouvait pas un vaccin pour sauver le monde ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Quatrième partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

''Ce qui m'intéresse , c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime" Albert Camus La Peste


Après le déconfinement, la reprise de l'épidémie fut encore plus forte : plus de cas, moins de places dans les hôpitaux. Tout allait donc recommencer. Les chiffres journaliers des morts en recrudescence, tout cela inquiétait les habitants de n'importe quelle partie du monde.
Parmi eux, Christelle retrouvait ses angoisses du départ : qu'allait-il lui advenir si elle tombait malade puisqu'elle n'aurait aucune chance d'aller en réanimation ?
Tous les jours qui suivirent, elle allait de plus en plus mal. Elle essayait de se persuader que cela passerait mais une petite voix en elle lui criait sans cesse :
- "Non, c'était plus grave qu'elle voulait le croire. Elle présentait tous les symptômes du coronavirus : cette fièvre qui ne baissait pas, ces maux de tête fréquents, ces courbatures, ces douleurs abdominales continuelles."
Elle se sentait si fatiguée qu'elle ne pouvait plus se lever, se nourrir. Elle s'endormait à tout moment. Elle n'avait plus goût à rien. Elle, qui avait tant lutté contre ses maladies précédentes, mortelles, elles aussi, ne pouvait se vouer qu'à Dieu afin qu'Il l'épargne encore une fois.
Enfin, elle craignait surtout de mourir seule et que son cadavre soit trouvé bien après son trépas. Le téléphone muet lui confirmait l'abandon dans lequel elle se trouvait. Elle n'avait même plus la force d'appeler, si essoufflée, si épuisée que des paroles ne sortiraient même pas de ses lèvres. Un jour, on sonna à sa porte : c'était une infirmière qui devait lui faire une prise de sang. Les autres infirmières qui venaient trois fois par semaine avaient abandonné les cas les moins graves, donc elles ne passaient plus pour vérifier ses constantes. Débordées par le nombre de cas de coronavirus en augmentation, elles travaillaient ailleurs. Devant l'état alarmant de Christelle, l'infirmière Monique appela une ambulance. Masqués, en habit blanc immaculé des pieds à la tête, les ambulanciers impressionnèrent Christelle. Elle aurait voulu rester chez elle, dans son appartement qu'elle aimait. Voir tous les jours la Seine, Notre Dame de Paris, le Pont Neuf, remèdes contre le Mal, la peur de mourir. Elle redoutait la promiscuité avec d'autres malades,
les longues attentes dans les couloirs l'anonymat de sa prise en charge. Quand reviendrait-elle chez elle ? Quand reverrait-elle le quartier qu'elle aimait.
Mais on ne lui demanda pas ce qu'elle voulait. Les ambulanciers s'emparèrent d'elle, la portèrent sur une chaise roulante jusqu'à l'ambulance où elle fut couchée sur un brancard et où on lui administra l'oxygène. Après un parcours cahotant sur des pavés, Christelle comprit qu'elle arrivait à l'hôpital. Pressés de partir, les ambulanciers l'abandonnèrent dans un couloir où d'autres brancards étaient alignés dans l'attente d'être pris en charge. Sous le drap blanc, les malades se ressemblaient tous. Chacun, comme Christelle, avait le cur serré. Plusieurs gémissaient. Juste derrière elle, arrivée après elle, une jeune femme d'une trentaine d'années pleurait doucement. Christelle l'entendit distinctement dire :
"Que vont devenir mes enfants ?"
Une infirmière passa, elle interrogea la jeune malade :
-"Quel âge ont vos enfants ?
- Cinq ans et sept ans !
- Oui, ils sont jeunes et ont besoin de leur mère. Quelqu'un peut-il vous remplacer auprès d'eux ?
La jeune femme secoua négativement la tête
- Quel est votre prénom ?
- Aurore !"
" C'est un beau prénom porteur d'espoir. Elle devrait vivre ne serait ce que pour s'occuper de ses enfants" pensa Christelle et elle fit une courte prière pour cette Aurore inconnue. Elle imagina sa vie, divorcée peut-être ou abandonnée par son ex-mari, Aurore méritait de vivre. Seule, elle s'était battue pour garder ses enfants auprès d'elle.
Mais, l'infirmière revint, un peu gênée :
'Nous n'avons plus de lit, il faut attendre"
Aurore appela une voisine pour qu'elle aille chercher ses enfants Bernard et Lise à l'école. Mais parler l'exténua.
Christelle songea que personne ne l'attendait, elle. Morte, elle ne manquerait à personne.
L'infirmière revint.
"Un lit vient de se libérer. La première arrivée est madame" dit-elle en se tournant vers Christelle.
Ce fut comme une impulsion. Alors qu'on ne le lui demandait pas, Christelle offrit d'elle même le seul lit de libre. Elle céda sa place, puisqu'elle était arrivée la première Elle, qui avait si peur de mort, pensa en un instant que si la mort devait toucher une des deux, ce serait plus juste si c'était elle qui parte dans le pays des étoiles. Elle avait vécu tant d'années de plus qu'Aurore !
Elle avait fréquenté tant de musées, vu tant d'expositions, écouté tant de concerts, admiré tant d'opéras, visité tant de villes. Maintenant, tout ce qu'elle possédait, la Mort ne pourrait le lui prendre, tout à fait. Elle survivrait dans un autre monde plus juste, plus généreux, plus libre.
Elle croyait fermement en Dieu. Elle adressa une prière à Jésus :
"Si je traverse les ravins de la Mort, Tu es mon guide et Tu me rassures". La prière est la sur tremblante de l'amour et une arme contre la Mort. Comme Sur Marie des Anges le lui avait conseillé, Christelle se confia à Dieu et se mit dans Sa main puissante. Toute peur l'avait quittée.
Elle attendit patiemment quun infirmier la conduise dans une autre pièce, tragiquement anonyme, épouvantablement triste : une sorte d'antichambre de la mort. Elle n'était qu'une patiente qui devait se soumettre aux dictats des professeurs, des médecins.
Le docteur Michèle Xavier fut annoncée. D'emblée Christelle se sentit mieux, un peu rassurée.
- " Vous allez être mise sous oxygène sans arrêt. Il faudra être patiente, on fera tout notre possible pour vous tirer d'affaire.
- La réanimation ? balbutia Christelle.
Michèle éluda la question
- Pour l'instant, on vous soignera sans et c'est plutôt bon signe!". Le docteur sortit.

 


Chapitre 2

"La mort est toujours la même et chacun pourtant meurt de sa propre mort" Carson Mac Cullers L'Horloge sans aiguilles




Mais, Christelle était de plus en plus essoufflée : un bruit de forge qui lui semblait venir d'une autre personne, comme si son corps et son âme se séparaient pour toujours.
Et quand son souffle devint plus haletant, elle sut qu'elle allait rejoindre ceux qu'elle avait aimés : sa famille, bien sûr, mais aussi ses amis d'autres siècles : artiste (compositeurs, écrivains, musiciens, peintres...) qui lui avaient donné le goût de la vie et qui l'avaient sauvé de la mort.
Le docteur Michèle Xavier entra. Habillée tout en blanc, comme un cosmonaute, de la tête aux pieds. A l'aide de son stéthoscope, elle écouta avec attention le cur et les poumons de la malade. Christelle reconnut le médecin qui l'avait accueillie dans cet hôpital : auparavant, elle l'avait déjà vue au centre anti cancéreux mais aussi dans les manifestations en faveur des femmes battues. Mais elle ne put parler : elle était trop faible. Michèle l'encourageait d'une voix chaleureuse : elle allait guérir : on s'occuperait bien d'elle.
Même épuisée, Christelle eut la force de sourire. Elle savait que le docteur Michèle Xavier mentait mais elle ne voulait pas lui faire de la peine Son corps, comme un sphinx, lui envoyait assez de messages sur son état très sérieux, et Christelle savait les déchiffrer. Elle regrettait uniquement de ne pas avoir tout tenté pour aider les femmes battues et les cancéreuses. Certes, elle laisserait ses blogs et sa fondation mais qui continuerait après elle ? Peut-être, Michèle ou d'autres féministes !
Christelle, fatiguée, songeait qu'elle ne reverrait plus la rosace Nord de Notre Dame de Paris. Longtemps, elle avait eu l'espoir de pouvoir y revenir, après l'incendie, mais c'était trop tard pour elle. Elle n'avait que le souvenir pour se consoler. Le miroitement dans le soleil des verres bleus comme un kaléidoscope avec les cercles de rois, de prophètes de l'Ancien Testament et au centre la Vierge à l'enfant, préfigurant le Nouveau Testament. Les couleurs froides symbolisent le Nord, l'Ancien Testament s'opposaient aux couleurs chaudes, à toutes les nuances de rouge de la rosace Sud qui lui faisait face et qui, elle, représentait le Nouveau Testament avec au centre
le Christ.
Tout était sens dans cette cathédrale, tout était mystère, découverte, étonnement.
Après avoir franchi le seuil, on longeait une travée obscure éclairée par la flamme tremblante des cierges. Puis tout d'un coup, au transept, la lumière comme une révélation divine, donnée par les rosaces, miracle d'harmonie, les plus grandes et les plus anciennes. Elle ne reverrait pas les grands tableaux offerts par les corps de métier au mois de mai, ni même ces signes sur les piliers : les marques laissées par les compagnons pour se faire payer selon l'ouvrage accompli.
Mais tout continuerait après elle. Elle n'aurait été qu'un chaînon dans l'humanité.
Tout était dans l'ordre. Il lui sembla quitter son corps qui restait sur le lit blanc et elle suivit un long couloir sombre jusqu'à déboucher dans la lumière : un soleil qui n'était pas de la terre mais réchauffait doucement.
.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 3

"Une uvre est un cri dans le désert" François Mauriac


Michèle, appelée par les infirmières, survint. Elle constata la mort de Christelle. Ses paumes détendues a persuadèrent que Christelle n'avait pas souffert. Mais le médecin n'acceptait pas la mort de sa patiente. Ce décès lui semblait profondément injuste. Elle aurait tant voulu la sauver : avec quelques jours de plus, peut-être cela aurait été possible. Christelle n'aurait pas dû mourir : son sacrifice aurait dû être récompensé. Mentalement, Michèle interrogea Dieu ou le Destin, elle ne savait pas très bien quelle était cette puissance au-dessus d'elle qui contrait tous ses efforts et punissait les bonnes personnes. Elle en était sûre, il y a dans les hommes et les femmes plus de raisons de les admirer que de les mépriser. Christelle méritait vraiment de vivre, celle qui avait donné ses chances de survie à une amie inconnue. Celle qui avait tant peur de la mort, avait préféré donner sa vie.
Le Père Dominique arriva pour bénir le corps. Il pria mais il ne redoutait pas la mort pour elle, il savait que son acte comme ses efforts en faveur des femmes battues et des cancéreuses en difficulté seraient récompensés.
Il cita une parole du Christ lui-même : " Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis". Christelle avait donc montré avec éclat qu'elle avait cette foi qui croit en la vertu de l'amour car "la mesure de l'amour est d'aimer sans mesure", comme l'écrivait Saint Augustin. Le Père Dominique s'adressa au docteur Michèle :
"Ne pensez vous pas que même si le corps de Christelle nous a quittés, l'âme de Christelle est toujours là ? Elle a rejoint Dieu mais elle vous laisse le souvenir. Elle vous a montré par son geste d'amour pour la jeune malade qu'on peut vaincre la peur de la mort et même la mort elle-même".
Sur Marie des Anges survint : elle priait aussi. Elle remercia le docteur Michèle de ses bons soins, et elle lui expliqua que le souvenir permet aussi de vaincre la Mort.
"Christelle n'est plus avec nous, mais dans le souvenir de ses amies, elle est maintenant partout. Son esprit nous guide et ainsi elle veille sur nous du haut du ciel".
Michèle, avec sa raison, son bagage scientifique, se sentait, toutefois, interpellée par cette mort : ce sacrifice. Il lui sembla qu'elle était investie d'une mission ; raconter cet acte insensé : donner sa vie pour une femme inconnue. Le docteur Michèle parlerait à Aurore de Christelle car la jeune mère de famille lui devait la vie. Le docteur Michèle ferait un article dans une revue médicale. Tant pis si personne ne la prenait au sérieux. Son rôle était de témoigner. Elle avait aimé et apprécié Christelle même si elle n'avait pas pu la sauver du coronavirus, elle devait contribuer à ce que ses amis perpétuent sa mémoire. Nos défunts ne sont pas sous la froide pierre d'une tombe mais dans nos pensées. Sans le vouloir souvent, nous les assimilons à des moments les plus tenus, les plus improbables de notre vie, ils revivent pour nous par des expressions, des paroles qui nous reviennent inconsciemment à l'esprit. Par notre amour, nous les rendons immortels.
Vaincre la mort d'un être aimé par l'amour de ses amis, l'amour filial ou maternel ou conjugal n'est ce pas un beau programme ? L'épidémie a fait naître de belles actions comme autant de fleurs superbes dans un jardin magnifique mais les sentiments qui ont été à l'origine de tous ces actes sont à admirer, en premier.
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Chapitre 4

" C'est la nuit qu'il est beau de croire en la lumière" Edmond Rostand Chanteclerc


Michèle tenait à témoigner : elle avait le devoir de dénoncer ce qui n'allait pas dans notre société. L'argent, le désir de puissance, l'égoïsme avaient sévi avant, mais aussi pendant l'épidémie. Une leçon devait être tirée du coronavirus, du confinement. Une injustice entre les classes sociales, l'âge des personnes, l'état de santé des différentes générations avaient paru évidente. Elle avait souvent fait observer à ses collègues que le covid 19 persiste et s'en prend à ceux qui respectent les gestes barrières et que parfois et même souvent il ignore ceux qui ne respectent pas le port du masque et la distanciation. Elle tenait à l'écrire dans ses articles.
De l'apparente injustice, une vérité avait éclaté. Le coronavirus a servi à montrer que l'homme en règle générale est bon, solidaire, fraternel. Dans des circonstances exceptionnelles, tragiques, la priorité a été donnée à la vie. Les problèmes annexes ont été évacués. Ainsi, des associations comme la croix rouge, la conférence Saint Vincent de Paul, les petits frères des pauvres entre autres, ont maintenu un lien amical avec les personnes seules ou malades. Des livraisons de nourriture ont été faites.
Vaincre la mort avec le courage, l'abnégation, la générosité s'est vérifié tant de fois et en particulier dans les équipes médicales. Des dons nombreux ont été rassemblés : de l'argent, des produits de première nécessité, etc., ont permis que la lutte contre la mort se poursuive. Il n'est pas vrai que la mort vainc toujours comme l'écrivait Schopenhauer.
Michèle, pour se détendre après tant de réflexions philosophiques sur le Bien, le Mal, la Mort, regarda le ciel au-dessus d'elle. Entre les nuages blancs et gris, une écharpe rose s'étirait mollement. Michèle y vit une promesse de renouveau. Bientôt, ils le trouveraient ce vaccin, tous ces chercheurs de tous les pays, qui y travaillaient de toute leur force, s'unissant par delà les frontières dans une démarche absolument gratuite pour toute l'humanité. Non, les civilisations ne sont pas mortelles, elles peuvent se perfectionner. Michèle voyait devant elle un horizon aux formes superbes, elle l'écrivit dans son premier article, elle croyait que dans un proche avenir, la mort pourrait être vaincue.

 

 

 

 

 

 

Table des matières

Première partie.....................................................................................................p.5
Chapitre1 p.7
Chapitre p.11
Chapitre 3 p.17
Chapitre 4 p.21
Deuxième partie...............................................................................................p.25
Chapitre 1 p.27
Chapitre 2 p.31
Chapitre 3 p.33
Chapitre 4 p.37
Troisième partie....................................................................................................p.41
Chapitre 1 p.43
Chapitre 2 p.47
Chapitre 3 p.51
Chapitre 4 p.55
Dernière partie.....................................................................................................p.59
Chapitre 1 p.61
Chapitre 2 p.63
Chapitre 3 p.65
Chapitre 4 p.67
Table des matières................................................................................................p.68

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